International

Gouverner par la menace : ce que révèlent les priorités 2026 de l'UE

Par Raphaël Lepilleur. Synthèse n°2631, Publiée le 31/12/2025 - Photo : Un drapeau européen qui flotte, symbole d'une Union en pleine redéfinition de ses priorités, entre puissance, sécurité, militarisation et contrôle du récit.  Crédits : Adrien Olichon via pexels
La déclaration de l'UE sur les priorités législatives de 2026 traduit un recentrage sur les enjeux militaires, sécuritaires et informationnels. Mais ce texte s'inscrit dans un contexte élargi : celui de sanctions arbitraires, prononcées sans procès ni débat contradictoire, qui marquent une rupture préoccupante avec l'État de droit et posent la question d'un basculement autoritaire au sein de l'UE.

Le document en sélection fixe les priorités législatives de l'UE pour 2026. Signée par les trois principales institutions, cette déclaration constitue une boussole politique. Son analyse, mise en perspective avec plusieurs documents officiels récents, révèle une continuité dans l'orientation prise par l'Union, axée autour de la montée en puissance des logiques sécuritaires et militaires, un recentrage autoritaire de la gouvernance et une réduction progressive de la liberté d'expression.

Ce dernier point renverrait à l'installation d'une doxa, c'est-à-dire d'un cadre de pensée dont il serait de plus en plus difficile de s'écarter sans être marginalisé, voire, comme nous le verrons, sanctionné, dans un climat d'arbitraire préoccupant. Si ces tendances se confirmaient, elles dessineraient une UE aux mécanismes de plus en plus autoritaires. Cette évolution interroge d'autant plus avant l'arrivée de l'identité et de l'euro numérique, qui permettent, de fait, plus de contrôle. Elle s'accompagne d'une rhétorique fondée sur l'invocation permanente d'une menace, comme si, pour reprendre la psychologue et analyste Marion Saint-Michel, «l'existence d'un ennemi supposé suffisait à légitimer l'autoritarisme». Une méthode qui rappelle la séquence Covid, où les «complotistes» et «antivax» semblent avoir laissé place aux «pro-russes».

Les condamnations évoquées sont dans ce document, qui instaure des sanctions ciblées à l'encontre d'individus accusés de participer à des « activités déstabilisatrices » liées à la Russie. Si la majorité sont russes, il y a également un Américain, un Français et un Suisse. Les sanctions sont lourdes : gel des avoirs, interdiction de mise à disposition de fonds, interdiction d'entrée et de séjour sur le territoire.… Elles sont prononcées sans procédure judiciaire, sans mise en examen, sans débat contradictoire et sans décision de justice. Les accusations visant Jacques Baud, ancien haut responsable suisse du renseignement (analyse du cas sur le site de la fondation Suisse Themisia Goia) et Xavier Moreau (Français et 1er ressortissant d'un pays de l'UE frappé par ce type de mesures) sont identiques. Ils sont accusés de diffuser, relayer ou légitimer des narratifs jugés favorables aux intérêts russes, qualifiés de «désinformation», notamment sur la guerre en Ukraine. 

La complexité de ce conflit (élargissement de l'OTAN, Maïdan, révolution orange, accords de Minsk, conflit du Donbass, ingérences étrangères…) est aujourd'hui largement occultée. Un fait est : l'UE sanctionne désormais des individus pour divergence analytique, au nom de la lutte contre la désinformation. Ce basculement devient possible parce qu'il s'appuie sur une «doxa» (ou «narratif») largement admise (où même la nuance est suspecte) qui rend acceptables des choses autrefois impensables. Il pose une question centrale : jusqu'où la construction, l'amplification ou l'entretien d'une menace peuvent-ils servir de moteur politique ? La généralisation de la censure et la disqualification des lectures dissidentes peuvent nourrir l'hypothèse d'une instrumentalisation. Dans ce cadre, la multiplication de discours préparant l'opinion à l'éventualité d'une guerre interroge. Un tel climat pourrait, hypothèse à manier avec prudence, faciliter des projets en cours mais sensibles : constitution d'une armée européenne, basculement vers un bloc fédéral, déploiement accéléré de nouvelles infrastructures…

Selon Jacques Baud, la décision viendrait de Mr Macron, déjà cité dans les Twitter Files, dont le journaliste M.Shellenberger a affirmé n'avoir jamais vu un chef d'État «aussi directement impliqué dans le complexe industriel de la censure». Les récentes mesures prises par les USA à l'encontre de personnalités européennes, dont Thierry Breton, restent déplorables, mais apparaissent comme une réaction. Elles visent des responsables associés à des dispositifs tels que le DSA ou le Media Freedom Act, souvent considérés comme fondateurs d'une censure officielle dans l'UE. Les réactions dénonçant une atteinte injustifiée ou une persécution, semblent souligner un paradoxe : le censeur s'offusquant d'être censuré. Thierry Breton appelant même l'UE à «réagir avec la plus grande fermeté». Une posture victimaire qui pourrait donc contribuer au renforcement autoritaire, en le présentant comme défensif.

Enfin, les déclarations sur l'Ukraine confirment un soutien durable. Le conflit est envisagé comme un horizon prolongé, tandis que la poursuite du processus d'adhésion à l'UE et d'une intégration à l'OTAN sont réaffirmées. Ces orientations entrent en contradiction avec des lignes rouges formulées de longue date par la Russie (expansion de l'OTAN à ses frontières et neutralité de l'Ukraine), des éléments que beaucoup, dont Emmanuel Todd ou Luc Ferry, identifient comme LES casus belli (lecture qualifiée de «pro-russe»). L'ensemble apparaît plus comme une escalade assumée qu'une volonté de paix, soutenue par des engagements financiers massifs, malgré des scandales de corruption documentés. Enfin, le refus de tout compromis sur l'intégrité territoriale, contraste avec le traitement réservé à d'autres conflits récents, notamment en Géorgie ou en Arménie.

À retenir
  • La déclaration conjointe de l'UE pour 2026 fixe un agenda dominé par les enjeux de sécurité, de défense et de contrôle informationnel, marquant un éloignement net de la vocation initiale de l'Union et une gouvernance plus centralisée et verticale
  • Un régime de mesures restrictives permet désormais de sanctionner des individus sans procès ni débat contradictoire, pour des analyses jugées non conformes, faisant de la divergence intellectuelle un motif de mise au ban.
  • Le soutien durable à l'Ukraine, l'horizon assumé du conflit, l'adhésion annoncée à l'UE et à l'OTAN et le refus de tout compromis s'inscrivent dans une lecture binaire du conflit, où toute analyse alternative est disqualifiée au nom de la lutte contre la désinformation. Se pose la question d'une possible instrumentalisation.
  • La combinaison de la militarisation, de la censure et de la sanction administrative dessine un modèle fondé sur l'ennemi permanent, rappelant des mécanismes déjà observés lors de la période Covid et posant la question d'un basculement autoritaire, voire totalitaire, durable au sein de l'UE.
La sélection
EU Legislative Priorities for 2026
A lire sur le site de la commission Européenne
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
Gouverner par la menace : ce que révèlen...
0 commentaire 0
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne