Société

L'ère de l'identité numérique européenne commencera en 2026

Par Raphaël Lepilleur. Synthèse n°2576, Publiée le 18/10/2025 - Photo : L'identité numérique européenne deviendra obligatoire en 2026, dans un silence politique et médiatique quasi total. Crédits : Press Kit officiel du projet par la commission européenne.
Le Royaume-Uni a annoncé le déploiement de son identité numérique, obligatoire pour travailler. Un pas de plus vers un outil de contrôle total, instauré sans débat démocratique. Dans l'UE, la même mesure deviendra obligatoire en 2026, dans un silence assourdissant. Et pendant que la Commission communique avec des dessins animés niveau maternelle, c'est une porte vers un nouveau monde qui s'ouvre.

Ce n'est pas « obligatoire », mais vous ne pouvez pas vivre sans. Une rhétorique qui rappelle notre histoire récente. Dans ce communiqué officiel, le Royaume-Uni met l'accent sur l'insécurité et le travail illégal, qu'il lie à une immigration massive et incontrôlée. Le 1er ministre va jusqu'à dire que les Britanniques « sont inquiets du niveau d'immigration illégale », et que des « frontières sécurisées et une immigration contrôlée sont des demandes raisonnables ». L'identité digitale, en plus de « simplifier la vie des citoyens » (constat établi à leur place, car ils n'ont pas été consultés), viendrait donc pallier à des problèmes que l'État a, de fait, largement contribué à créer. Il semblerait pourtant que des forces politiques alertent à ce sujet depuis des décennies. On observe une dynamique similaire dans l'UE, avec des politiques promigrants maintenues mordicus et une « extrême-droitisation » (voire « fascisation ») systématique de toute opposition, mais avec en partie les mêmes arguments pour promouvoir l'identité numérique. Peut-être que, si les politiques avaient été plus en phase avec une continuité historique et un socle culturel commun, nous n'en serions pas arrivés à ces mesures aussi drastiques qu'irréversibles. C'est une hypothèse. De là à penser qu'il y ait eu une volonté de créer les conditions nécessaires pour légitimer l'instauration d'un tel outil, il n'y a qu'un pas… que chacun est libre de franchir.

Tous les États membres de l'UE doivent disposer d'une identité numérique opérationnelle d'ici 2026, c'est obligatoire. Il ne s'agit pas d'un projet potentiel, il est entériné et verrouillé. Au-delà des promesses et des discours vantant l'utilité et la praticité, il faut mesurer ce qu'implique cette évolution. Elle offre, pour la première fois dans l'histoire, la possibilité d'un contrôle total et centralisé des citoyens. Reliée demain à une monnaie numérique de banque centrale (type euro numérique) ou à des systèmes d'évaluation comportementale, elle pourrait autoriser toutes les dérives : restriction d'accès, gel de comptes, limitation de libertés, marginalisation des voix dissidentes... Dans une optique totalitaire, c'est l'outil ultime. C'est un dérivé du modèle chinois, mais encore plus élaboré et global.

La balance entre les bénéfices et les risques de dérives totalitaires et d'atteinte aux libertés fondamentales semble très déséquilibrée. L'anthropologue suisse Jean-Dominique Michel (spécialiste en santé publique) alerte sur le fait que « notre époque souffre d'une incapacité collective à concevoir que les dirigeants puissent ne pas agir dans l'intérêt des peuples qu'ils gouvernent ». L'hypothèse d'une « intention délibérément nuisible, voire criminelle, ou d'intérêts supérieurs guidant leurs décisions reste impensable pour beaucoup, presque taboue ». Et ce, même après la période Covid. Or, c'est justement elle qui a servi d'accélérateur, en instaurant des réflexes de contrôle et d'acceptation numérique sans précédent, un terrain fertile pour ce basculement.

Le projet d'identité numérique européenne, officiellement appelé eIDAS (Electronic Identification, Authentication and Trust Services), a été légiféré dès 2014 et revu en 2021, avec un objectif clair de créer un portefeuille d'identité, permettant à chaque citoyen européen de stocker toute sa vie dans une application unique, utilisable dans toute l'UE (outil idoine dans le cadre d'une identité européenne, si l'on voulait que l'Europe devienne un pays). Vous ne serez pas face à un choix, mais à une obligation, car ce n'est pas un outil complémentaire, c'est une substitution totale aux formes d'identité existantes. Tout est dans la même rhétorique : par exemple, juridiquement, l'UE n'impose pas le smartphone. Mais techniquement, elle conçoit un système qui ne peut fonctionner qu'avec. N'hésitez pas à découvrir le projet sur la page dédiée, qui regorge de dessins, de vidéos et de schémas enfantins explicatifs. Ce dessin animé est une communication officielle présentant la « décennie numérique » à venir. On y suit Alice, guidée par un lapin blanc déterminé à sécuriser le monde numérique européen. Voilà le niveau d'information sur un sujet aussi majeur que l'identité numérique. Chacun en jugera… Cette publicité vantant le « Digital Id Wallet » de Thales date de 2020. Entreprise qui se félicite, presque surprise : « À peine trois ans après l'annonce du projet, le programme progresse rapidement ». Ce dernier, baptisé EUDI Wallet (découvrez le fonctionnement ici), est déjà en cours d'expérimentation dans plusieurs pays européens et sera donc lancé en 2026. Des entreprises comme Thales et Idemia par exemple, en assurent l'architecture technique, avec un financement direct de la Commission européenne. Des intérêts privés choisis sans débat public.

En Suisse, pays où la démocratie directe fait loi, le projet d'identité numérique a d'abord été rejeté par référendum en 2021 avant d'être réintroduit, sous une forme un peu retouchée, pour un déploiement prévu en 2026. Une année charnière, qui coïncide aussi avec l'entrée en vigueur complète (en place depuis le 12 octobre, mais pleinement opérationnelle en avril 2026) du nouveau système d'entrée-sortie de l'espace Schengen. Un dispositif méconnu de traçabilité, censé aussi lutter contre l'immigration illégale. Partout, les mêmes entreprises conçoivent les infrastructures techniques, elles-mêmes détenues par les mêmes fonds d'investissement. Les gouvernements, eux, semblent n'être que des opérateurs territoriaux, adaptant localement un modèle décidé et conçu ailleurs. Ce qui relevait autrefois de la souveraineté nationale tend désormais à s'intégrer dans une logique de gouvernance commune, émanation de ce qui ressemble à un gouvernement mondial non soumis aux élections et au-dessus de nos systèmes, que certains appellent « État profond ». Peu importe la position qu'on adopte, qu'on perçoive cela comme une simple évolution de la technologie ou comme un basculement totalitaire inédit, le silence médiatique qui l'entoure reste surprenant et participe justement à en faire une normalité. Hormis des documents publiés sur les sites de la Commission ou des vidéos officielles (aux audiences faméliques) sur YouTube, tout se déroule dans l'indifférence générale. Et lorsque le dispositif sera en place, on se contentera sans doute d'en présenter le fonctionnement au journal télévisé, comme une formalité.

À retenir
  • Même rhétorique qu'en période Covid. Ce n'est pas « obligatoire », mais vous ne pourrez pas vivre sans. L'identité numérique s'impose sous couvert de sécurité (combattre l'immigration illégale notamment) et de simplification, sur un modèle déjà éprouvé en Chine.
  • Elle permettra un contrôle et une traçabilité totale et absolue des citoyens, surtout si elle est couplée demain à l'euro numérique ou à des dispositifs d'évaluation comportementale.
  • Mise en place dès 2026. Obligatoire dans toute l'UE, ce projet de longue haleine avance dans un silence médiatique quasi total, cantonné à quelques documents officiels et vidéos de communication infantilisantes.
  • Une dynamique mondiale. Soutenue par des acteurs transnationaux et une idéologie globaliste, cette identité numérique s'inscrit dans une architecture de gouvernance mondiale, pensée au sommet, que certains assimilent à un État profond.

La sélection
Once Upon a Time in… Europe's Digital Decade
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