La « doctrine Trump » : derrière le chaos, l'esquisse d'un nouveau monde
La guerre en Ukraine touche à sa fin... Après 3 ans et demi d'une guerre sanglante, épilogue d'une décennie de troubles à l'est de l'Ukraine, la diplomatie américaine cherche à imposer un accord de paix de 28 points. Une ligne est tracée pour séparer les territoires disputés : l'Ukraine doit accepter de céder des territoires qui ne sont pas tous totalement contrôlés par l'armée russe et surtout s'engager à limiter ses capacités militaires. Mais le « deal » de Trump offre une garantie de sécurité à l'Ukraine sur le modèle de l'article 5 de l'OTAN et il ne reconnaît pas comme « légales » les revendications territoriales russes. De fait, la Russie devra évacuer certaines portions de territoires occupés. De plus, 100 milliards de dollars d'actifs russes à l'étranger seront ponctionnés pour aider à la reconstruction de l'Ukraine. Le dimanche 30 novembre, une délégation ukrainienne est allée en Floride rencontrer Marco Rubio, le secrétaire d'État américain, et Steve Witkoff, l'émissaire de Donald Trump. Le but est de finaliser les derniers points du plan présenté à Genève il y a une semaine...
L'histoire s'accélère donc, et les capitales européennes – qui répètent mordicus leur soutien à l'Ukraine – semblent hébétées. On parle d'un nouveau revirement d'un Donald Trump présenté à l'envi comme fantasque. Il a, en effet, mis une forte pression sur Moscou ces dernières semaines, en imposant de nouvelles sanctions affectant l'économie russe. Et voilà qu'un plan de paix est sur la table, ne laissant aucune place aux Européens... Rien de surprenant pourtant, car le règlement du conflit ukrainien n'est qu'une partie de la stratégie américaine qui cherche à se désengager des théâtres européens et moyen-orientaux. Les élites européennes, très souvent atlantistes, sont restées persuadées que l'alignement avec les États-Unis était une évidence stratégique. C'est un nouveau siècle géopolitique qui s'ouvre, alors que la première puissance mondiale cherche à garantir son hégémonie.
L'ordre mondial qui prévalait depuis 1945 est bel et bien terminé. Une construction qui reposait sur trois piliers pour Washington. D'abord, assurer la stabilité de l'Europe de l'Ouest face à la menace soviétique en s'appuyant sur le Plan Marshall et l'OTAN. Ensuite, un investissement massif dans la péninsule arabique – en remplacement de l'ancien protecteur britannique – pour garantir l'accès au pétrole. Enfin, contrôler le Pacifique en veillant à ce que les pays asiatiques bordant l'océan restent stables et ouverts au commerce mondial. Le monde a connu de profonds bouleversements depuis la chute de l'URSS, l'émergence de nouvelles puissances régionales et surtout l'irruption de la Chine sur la scène globale. Les précédentes administrations américaines ont peu réagi à ses mouvements tectoniques. Elles ont maintenu une forte présence militaire en Europe et des capacités de surveillance et d'influence sur les politiques intérieures des vassaux européens. Elles ont aussi mené une série d'interventions sanglantes dans tout le Moyen-Orient. Malgré l'annonce de l'ancien président Obama de « se tourner vers l'Asie » au tournant de 2010, les yeux, les dollars et les missiles américains sont restés braqués sur la Libye, le Yémen et la Syrie, Gaza, le Mozambique et l'Ukraine...
Le 21e siècle déjà bien engagé, il aura fallu attendre le second mandat de Donald Trump pour assister à une mise à jour importante de la stratégie américaine. Sous Joe Biden, on pouvait croire à un retour de la Guerre froide avec l'intention affichée d'épuiser la Russie dans une guerre d'attrition, avec les Ukrainiens en première ligne. Cette illusion a fait long feu et Kiev n'a plus de réserves à envoyer au front. Une grave affaire de corruption touche d'ailleurs les proches de Zelensky, remettant en question la légitimité de son gouvernement. Certes floutée par la communication à l'emporte-pièce du locataire de la Maison-Blanche, la « doctrine Trump » ne peut pas être qualifiée « d'isolationniste ». Washington met une pression intense sur la Russie et l'Ukraine pour arriver à la paix, tout en demandant aux Européens de garantir leur propre sécurité. La situation est similaire au Moyen-Orient : ce sont encore les Américains qui tordent le bras des Israéliens et de leurs ennemis pour imposer leur plan de paix. Les yeux de Washington se concentrent sur l'Asie. Le nouveau régime des droits de douane est censé réorganiser le commerce transpacifique, tout en aidant à la réindustrialisation américaine. Transactionnelle – donc parfois incohérente à terme, si l'on cherche à construire des alliances face à la Chine –, cette stratégie entend assurer aux États-Unis le leadership économique. Et que dire de l'Amérique latine ? On assiste à un retour de la « politique de la canonnière », avec des menaces explicites faites au régime de Caracas et l'envoi d'une escadre près des eaux vénézuéliennes. Sans parler de la pression exercée sur le Mexique pour casser les cartels, en ouvrant la possibilité à des frappes directes sur le sol mexicain. Éteindre les feux en Europe et au Moyen-Orient, monter une garde armée face à la Chine, allumer de nouveaux brasiers en Amérique latine : le 21e siècle vient de commencer.
- Américains et Ukrainiens se sont rencontrés en Floride le 30 novembre pour finaliser l'accord de paix présenté à Genève quelques jours avant.
- Donald Trump applique une pression maximale pour obtenir la cessation des hostilités, en Ukraine comme au Moyen-Orient.
- Au-delà de la communication désordonnée et brutale, la "Doctrine Trump" impose un virage nécessaire à la stratégie américaine.
- L'Asie, l'Amérique latine sont les nouvelles priorités, alors que les capitales de l'UE restent dans l'illusion d'un retour à la Guerre froide.