Politique

L'espace, une nouvelle frontière… à la portée de tous ?

Par Jean Staune - Publié le 14/03/2024 - Illustration : Une fusée spatiale s'envole vers le cosmos (Shutterstock).

La semaine dernière, un triple événement est passé en partie inaperçu à cause des nombreux troubles dus à l'actualité : les Américains sont retournés sur la Lune, 52 ans après le décollage d'Apollo 17, la dernière mission lunaire. Ils se sont posés plus près du pôle Sud que n'importe quelle autre sonde ayant « aluni » auparavant. Ce point est considéré comme le plus intéressant car il pourrait contenir de l'eau sous forme de glace dans des cratères que les rayons du Soleil ne viennent jamais frapper. Enfin et surtout, ce n'est pas la NASA qui a permis ce retour, mais une petite société privée de création récente, intitulée Intuitive Machine, dont la sonde spatiale, Odysseus, lancée par une fusée de la société Space X d'Elon Musk, fait 4 mètres de hauteur.

Certes, c'est peu de choses par rapport aux futures missions lunaires qui devraient permettre à l'homme (et à la femme, histoire de rendre l'espace « politiquement correct » !) de remarcher sur la Lune. Mais c'est tout un symbole de ce que l'on appelle le New Space, des petites entreprises flexibles et agiles qui se bousculent pour prendre d'assaut une citadelle auparavant réservée aux grandes entreprises d'État. Ce qui est encore plus significatif, c'est qu'on assiste à une véritable course des entreprises privées (pour l'instant américaines mais cela pourrait bien s'étendre à d'autres pays) vers la Lune. En effet, le mois dernier, la société Astrobotic Technology et sa sonde Peregrine (également lancée par une fusée de Space X) avaient bien essayé d'être les « premiers privés » sur la Lune, mais leur tentative a échoué et leur vaisseau est retombé sur terre.

La démocratisation de l'espace est susceptible de prendre une dimension totalement inimaginable pour les non-spécialistes du domaine. Ainsi, la société américano-néo-zélandaise Rocket Lab envisage de permettre à chaque étudiant de placer un microsatellite en orbite pour pouvoir, par exemple, faire des expériences pour sa thèse de physique ou d'astrophysique. Comme le dit Magali Vaissière, présidente de l'Institut de recherche technologique Saint-Exupéry, à Toulouse : « Le secteur connaît une vague d'innovations sans précédent, qui s'étend à tous ses domaines d'application », donc il est encore difficile de voir jusqu'où elle ira, et quels bouleversements elle pourra provoquer dans notre société et nos économies.

C'est la deuxième grande vague du New Space, la première étant dans l'apparition d'entreprises comme SpaceX, aujourd'hui un mastodonte du secteur — ou, dans une moindre mesure, le Blue Origin de Jeff Bezos et le Virgin Galactic de Richard Branson — qu'au début aucun acteur étatique ne prenait au sérieux. L'Europe n'est pas en reste, comme le montre la société The Exploration Company créée par Hélène Huby, ancienne d'Airbus, et destinée elle aussi à favoriser l'accès à l'espace.

Néanmoins, l'Europe a au moins 15 ans de retard sur les États-Unis où la NASA fut la première à comprendre que plutôt que d'essayer de combattre les acteurs du New Space de la première vague, il valait mieux leur passer des contrats pour les aider à réussir à bâtir beaucoup plus rapidement, et pour beaucoup moins cher, ce qu'elle n'était pas capable de faire elle-même. S'il n'est pas réaliste d'espérer voir surgir en Europe l'équivalent d'un Elon Musk, l'annonce le mois dernier de la création d'un fonds de cent millions d'euros pour les entreprises du New Space et plus récemment encore la levée de 27 millions d'euros par la petite entreprise de Reims, Latitude, qui prévoit de lancer une fusée de 20 m de haut dès l'année prochaine, sont des signes réconfortants. Mais le problème, c'est que la France, avec son héritage jacobin s'accroche au projet Ariane VI, qui est probablement mort avant même d'avoir commencé, comme nous alertions ici dans une LSDJ d'il y a deux ans, pour des raisons de coût économique.

L'inertie d'un grand système à continuer des projets déjà mort-nés comme Ariane VI n'est pas propre à l'Europe : le retour des astronautes américains sur la Lune repose sur un système absurdement hybride avec d'un côté, le système SLS qui permettra enfin à la NASA d'être autonome et de relancer ses propres astronautes dans l'espace sans passer par Elon Musk, puis d'un autre, la super fusée de Musk … réduite au simple rôle de transfert d'équipage et d'atterrisseur sur la Lune, alors que pour 10 fois moins cher, la NASA pourrait utiliser cette fusée pour envoyer directement des hommes sur la Lune ! Mais ce serait avouer que les milliards de dollars investis dans le SLS l'ont été absolument pour rien.

Et si pour une fois l'Europe et la France décidaient d'être plus intelligentes que les Américains ? Ou allons-nous, après avoir saboté notre système nucléaire par idéologie, saboter par aveuglement un autre fleuron de notre l'industrie, à savoir le spatial ? La question nous est posée aujourd'hui par les bips-bips émis par Odysseus, qui, pour quelques jours encore, avant qu'il ne manque de batterie, nous proviennent de la Lune.

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