La crise agricole comme révélateur d'une crise idéologique.
La crise liée à la Dermatose Nodulaire Contagieuse est désormais largement documentée. Un phénomène, en revanche, l'est beaucoup moins, celui de la convergence inédite d'acteurs issus d'univers idéologiques habituellement opposés. Sur le terrain comme sur les réseaux sociaux, des profils aux sensibilités politiques, culturelles et militantes très diverses ont relayé les mêmes images, les mêmes témoignages et les mêmes alertes. Elle a rassemblé des écologistes, des militants classés à gauche comme à droite, des profils dits « alternatifs », mais aussi des figures identifiées à la sphère dite « terroir », « patriote » ou « enracinée ». Des comptes comme ceux de Pierre-Guillaume Mercadal (intervenant dans la vidéo en sélection), les Mémoires de Jean-Louis, de Parlons Franc, de Nico l'Alchimiste, la table de Gaya ou de Retour aux Sources ont ainsi vu leurs contenus relayés par des publics qui, en temps normal, les combattent ou réclament leur censure. Ces figures sont régulièrement discréditées en étant qualifiées (au mieux) de « nationalistes », « réactionnaires » ou « identitaires », au motif qu'elles défendent une certaine idée de la France, du terroir et de la continuité historique, devenue pour certains intrinsèquement suspecte (au mieux).
Cette convergence rappelle ce qu'est l'altermondialisme dans son sens premier : un courant sans couleur partisane, qui ne vise pas à nier les enracinements, les cultures ou les héritages, mais à les protéger face à l'uniformisation globale. En France, cela passe nécessairement par la défense des terroirs, de la paysannerie et de la continuité historique agricole, qui constituent l'un des derniers socles concrets de souveraineté locale et, surtout, alimentaire, et qui est inexorablement lié à une histoire plus grande. Pire encore, certaines incohérences idéologiques contribuent aujourd'hui, consciemment ou non, à l'hégémonie des cœur de pouvoir qu'ils pensent combattre (via wokisme, antifa, antira…). On ne peut pas prétendre défendre le monde paysan tout en niant ses fondements culturels et symboliques, car cela revient, dans les faits, à en légitimer la disparition. Stigmatiser les banquets du « Canon français », disqualifier les fêtes de village ou des traditions comme la fête du cochon ou les marchés de Noël, assimiler les émissions TV valorisant le terroir à l'expression d'une « France aux saveurs passéistes et au fumet nationaliste », sont des exemples parmi tant d'autres qui participent à cette contradiction.
Prôner l'ouverture généralisée conduit, dans ses effets concrets, à des accords de type Mercosur et à des politiques de dérégulation (qui favorisent les grands groupes). Cette mécanique a été décrite de longue date, notamment par la journaliste Isabelle Saporta (ce type d'extrait ressurgissent et font sens), inutile d'invoquer un complot minutieusement organisé, il s'agit d'une convergence d'intérêts, produite par le fonctionnement même du système normatif et marchand. Exiger à la fois une ouverture totale et des mesures relevant, de fait, du protectionnisme et du souverainisme est une contradiction flagrante. L'idéologie se heurte alors au réel. Une logique sans-frontiériste sur le plan culturel implique un sans-frontiérisme économique, dont les effets se matérialisent par exemple ici par la mise en concurrence de modèles agricoles profondément asymétriques. La première semble donc exploitée par la seconde…
C'est dans ce contexte que certains discours, longtemps disqualifiés ou moqués, prennent une résonance particulière. Lorsque Philippe de Villiers affirme « je ne veux pas mourir », il n'énonce pas un slogan racial ou suprémaciste, mais exprime la crainte d'une continuité historique menacée, qui se matérialise ici dans des territoires et des pratiques agricoles. La disqualification systématique de ce type de propos par certaines figures publiques (comme le duo Camille et Justine par ex, pour qui l'affirmation nationale ou l'usage de symboles tels que le drapeau français relèveraient du racisme) produit des effets paradoxaux. En niant toute légitimité à ces expressions, ces discours s'alignent de fait avec des dynamiques de pouvoir qui favorisent les logiques globalisées et industrielles. La destruction symbolique précède souvent la restructuration matérielle. Ce qui est délégitimé culturellement devient plus facile à dissoudre économiquement. Dans ce cadre, corriger, dialoguer et ajuster devient impossible, seule subsiste l'alternative binaire entre adhésion totale ou disqualification. L'absence de nuance est le principal problème.
Beaucoup estiment que la stratégie française d'abattage systématique (choisie par la France et non imposée), unique au sein de l'UE et dépourvue de fondement empirique, rationnel et scientifique, sert de prétexte à l'accélération d'un processus déjà engagé, qui tend à faire disparaître l'agriculture paysanne au profit d'un modèle intensif. Or, la paysannerie n'est pas un concept abstrait. Elle constitue un héritage vivant, économique, social et culturel, structuré par le temps long, les territoires et la transmission des savoir-faire. Les affrontements et les scènes quasi guerrières, largement documentées par des acteurs de terrain (CL press, la ferme des cochons laineux, Baudouin Wisselmann…), l'usage de dispositifs de maintien de l'ordre lourds et le fait, très rare, que certains policiers aient refusé d'obéir traduisent une tension extrême. Un monde agricole déjà fragilisé par des décennies de précarisation et de détresse sociale se retrouve traité comme un adversaire intérieur, non pour sa violence, mais pour sa résistance. La répression est un marqueur des régimes autoritaires, alors peut-être faut-il cesser de considérer ce phénomène comme appartenant au passé ou à des géographies lointaines.
Là où certaines émeutes ont été marquées par des saccages et des slogans hostiles aux forces de l'ordre, les images venues du monde agricole montrent, par exemple, des individus se mettant à genoux, chantant la Marseillaise et exprimant leur respect aux policiers. Que des acteurs de tous horizons se retrouvent côte à côte n'a donc rien d'anecdotique. Cette convergence signale une fissure dans les récits dominants. Ca dépasse la seule question sanitaire pour atteindre des réalités premières (produire, nourrir, transmettre, maintenir des territoires vivants) face à un mondialisme perçu comme un rouleau compresseur, avançant sous des idéaux présentés comme bienveillants et égalitaires, mais dont les effets concrets frappent en priorité ceux qui constituent, coïncidence ou non, les principaux obstacles économiques et culturels à l'uniformisation globale.
- La crise de la DNC a provoqué un phénomène rare : des acteurs idéologiquement opposés relaient les mêmes alertes et témoignages, parfois portés par des figures habituellement disqualifiées ou censurées. Cette convergence, née du terrain, suspend provisoirement les réflexes idéologiques ordinaires, preuve qu'ils sont illusoires et instrumentalisés.
- La mobilisation rappelle l'altermondialisme dans son sens premier : la défense du local et du vivant face à l'uniformisation globale. Elle met en lumière une contradiction centrale, on ne peut pas défendre le monde paysan tout en niant ses fondements culturels et symboliques. Ici, l'idéologie se heurte aux réalités matérielles, au « mur du réel ».
- La doctrine d'abattage systématique, unique dans l'UE et non imposée par les textes européens, est perçue comme disproportionnée et infondée. Ses effets structurels interrogent : elle fragilise l'agriculture paysanne au profit de modèles intensifs.
- L'usage de dispositifs de maintien de l'ordre lourds et certains actes de désobéissance policière traduisent une tension extrême. Le monde agricole, déjà précarisé, est traité comme un corps résistant, nourrissant le sentiment d'un traitement asymétrique face à d'autres crises récentes. Une répression de la résistance, traditionnellement marqueur des régimes autoritaires.