Le 14 décembre dernier, deux hommes ont tiré sur un groupe de personnes célébrant la fête juive de Hanouka sur la célèbre plage de Bondi à Sydney (Australie). 15 morts et plus de 40 blessés...  La polémique est vive en Australie car – si la police a tardé à répondre – c'est le gouvernement qui est critiqué pour avoir fermé les yeux face à la montée de l'islamisme dans le pays. Les deux attaquants étaient un père – Sajid Akram (50 ans) né en Inde avant d'émigrer en Australie en 1998 – et son fils – Naveed Akram (24 ans). Sajid Akram a été abattu par la police et son fils arrêté. On a retrouvé depuis des documents et des vidéos d'allégeance à l'État islamique ne laissant peu de doutes sur leurs motivations. Le parcours de ces deux hommes mérite d'être étudié car il lève le voile sur la montée de l'islamisme en Asie du Sud-Est et la présence d'organisations terroristes qui ont y trouvé un terreau favorable.

Au début du mois de novembre, Sajid et Naveed Akram se sont rendus à Davao, métropole d'1,8 million d'habitants dans la grande île de Mindanao, tout au sud de l'archipel philippin. Pendant quatre semaines, ils ont suivi un entraînement au combat encadré par l'État islamique qui est en train de reconstituer ses forces après les défaites subies en Syrie. Pas de revendication – selon l'habitude prise par ce réseau terroriste qui fonctionne de manière décentralisée mais qui encourage les attaques les plus sadiques et sanglantes possibles. Bondi Beach rappelle le Bataclan à Paris en 2015... L'islamisme prend de l'ampleur dans une région appréciée par les touristes et où – historiquement – les musulmans étaient considérés comme modérés. Le radicalisme progresse depuis des décennies en Malaisie, en Indonésie et au sud des Philippines offrant aujourd'hui un terrain favorable aux mouvements terroristes aguerris par les conflits au Moyen-Orient. Plus de 240 millions de musulmans vivent dans cette zone et les appels à la violence ne sont pas sans conséquences.

L'islamisme ne date pas de la création de l'État d'Israël et encore moins des décennies suivant la fin de la guerre froide. À l'image des Frères musulmans fondés en 1928 en Égypte, les mouvements islamistes dans l'île de Mindanao aux Philippines sont apparus dès le début du XXème siècle. Mindanao est la deuxième plus grande île de l'archipel, comptant plus de 26 millions d'habitants. Elle concentre l'essentiel de la communauté musulmane d'un pays très majoritairement catholique. C'est aussi un territoire montagneux et isolé du reste des Philippines, entouré par trois mers (des Philippines, des Célèbes et de Sulu) connues pour leur insécurité due à la piraterie. La colonisation brutale américaine avait délaissé le Mindanao excentré. Les Japonais, pendant leur occupation de l'archipel entre 1941 et 1945, avaient encouragé l'antagonisme entre les communautés pour assoir leur contrôle. Une fois l'indépendance des Philippines obtenue formellement en 1946, le gouvernement a organisé une migration massive de Chrétiens vers Mindanao dans le but d'encourager le développement économique de cette région pauvre. Ce bouleversement a entraîné une rancœur des populations autochtones jusqu'à la création d'un premier mouvement séparatiste en 1969 : le Moro National Liberation Front (MNLF). Le MNLF a bénéficié du soutien de la Malaisie (profitant de l'afflux d'argent saoudien) et de la Libye. Un premier conflit ouvert opposant ce mouvement séparatiste aux forces armées philippines a ensanglanté le sud de l'archipel pendant 4 ans à partir de 1972. 30 000 combattants du MNLF allaient réussir à mobiliser 80% des forces armées philippines causant en moyenne une centaine de morts par mois. Depuis les années 70, on compte au moins 10 conflits violents et le MNLF est devenu le MILF (« Moro Islamic Liberation Front »). Dès lors, plusieurs groupes dissidents se sont formés – trouvant leur inspiration idéologique au Moyen-Orient et s'affrontant pour dominer leurs concurrents. Parmi eux, le réseau Abu Sayyaf fondé à la fin des années 80 par un ancien combattant en Afghanistan est lié à Al-Qaïda. Dawlah Islamiya (DI) est une coalition de groupes armés qui a revendiqué son adhésion au projet de l'État islamique...

En 2017, le Président Duterte a ordonné une offensive militaire pour éradiquer les groupes armés de la DI de Marawi (une capitale régionale de Mindanao) et 5 mois de combats urbains intenses ont suivi. Les islamistes ont subi de lourdes pertes et – en 2019 – une plus grande autonomie a été accordée à la région dans un geste d'apaisement pour le MILF plus modéré. L'accalmie n'a pas duré avec 18 attentats entre 2019 et 2024 causant 162 morts. Les cibles sont multiples : contre l'armée et les concurrents du MILF et les églises catholiques... En Asie du Sud-Est, comme le 7 octobre 2023 en Israël, à Bondi Beach comme au Bataclan, le terrorisme islamiste suit une idéologie apocalyptique cohérente : le non musulman est l'ennemi à abattre partout dans le monde et les victoires politiques ne sont que des marchepieds pour tuer encore plus d'innocents...