Pourquoi Ariane Group risque d'être la prochaine grande faillite d’Etat
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Pourquoi Ariane Group risque d'être la prochaine grande faillite d’Etat

Par Jean Staune. Synthèse n°1339, Publiée le 27/07/2021
Le 4 octobre 2004 ce que tous les spécialistes des grandes agences spatiales estimaient impossible se produisit. Un avion-fusée baptisé SpaceShipOne et conçu par un ingénieur aéronautique extrêmement innovant, Burt Rutan, venait, pour la deuxième fois en une semaine, d’atteindre l’espace à plus de 100km d’altitude et de revenir en planant avec un pilote à bord. Cette performance lui permettait de remporter le X Prize, un prix doté de 10 millions de dollars... et de passer un accord avec Richard Branson pour créer Virgin Galactic. Le vol que vient d’effectuer ce dernier, 17 ans après, à bord du SpaceShipTwo, n’est que l’aboutissement d’un long processus de mise au point. Mais la médiatisation extrême des vols de Richard Branson et de Jeff Bezos a l'avantage d’attirer l’attention du grand public sur les « nouveaux acteurs de l’espace » (le new space), dont le plus extraordinaire est Elon Musk, qui est bien en avance sur eux : la société de Jeff Bezos n’a pas encore effectué un vrai vol orbital alors que SpaceX l’a fait le 28 septembre 2008, jour où elle fut la première « start-up » au monde à mettre un satellite en orbite grâce au lancement de la fusée Falcon 1... Les professionnels du secteur ne firent même pas de commentaires. Même si, pour un « amateur », cela était une performance remarquable, un tel lanceur était une véritable plaisanterie par rapport aux « vraies » fusées. Moins de deux ans plus tard, en juin 2010, le Falcon 9, bien plus puissant, a réussi sa mise en orbite dès le premier coup. Des cadres d’Ariane Espace réagirent en disant « Oui, c’est pas mal, mais entre réussir une mise en orbite une fois et industrialiser le processus pour faire des mises en orbite régulières, il y a un océan qu’il n’arrivera sans doute jamais à franchir… » Huit ans plus tard, en 2018, le Falcon 9 réussissait 21 lancements au cours de l’année, contre 16 pour le Soyouz russe et… 6 pour Ariane 5 !

Certain se souvinrent alors d'une anecdote rapportée par l’agence de presse Bloomberg : la scène se passe au milieu des années 2000, lors d’une conférence spatiale au Vietnam. Le Français Jean-Yves Le Gall, alors patron d’Arianespace, devise avec ses pairs quand il voit débarquer un jeune homme en jean déchiré. « Il nous a dit, à nous les patrons des plus grandes entreprises de lanceurs : "Me voilà et vous êtes morts." L’un d’entre nous a répliqué : "Vous parlez. Nous, on lance [des satellites]." Si on avait su… ». Aujourd'hui, le discours de la part des mêmes personnes se transforma ainsi : « Oui, bien sûr, il a réussi, mais il a bénéficié d’un contrat de 3 milliards avec la NASA. On s’enthousiasme devant ses résultats, mais il ne serait rien sans les subventions publiques. »

Un tel discours est proprement hallucinant : la société d’Elon Musk a été développée au départ à 100% sur des capitaux privés, tandis qu’Arianespace a été développée au début à 100% sur des capitaux publics ! Le coût d’un lancement du Falcon 9 est de l’ordre de 70 millions de dollars alors que celui d’Ariane 5 est proche de 100 millions de dollars. ArianeGroup a donc développé le projet Ariane 6, pour proposer un lanceur dont le coût tournerait autour de 60 millions de dollars par lancement. Mais quand ce lanceur sera prêt, ce qui est encore loin d’être le cas, il sera totalement obsolète, puisqu’en récupérant ses premiers étages de fusée et en les réutilisant massivement. Elon Musk aura des coûts de lancement bien inférieurs à 50 millions de dollars. Là aussi les experts furent quasiment unanimes : on nous expliquait qu’il était impossible de faire se poser une fusée « en marche arrière », autant essayer de faire qu’un crayon qu’on lâche se pose verticalement sur une table ! Après la réussite de cette manœuvre on nous expliqua que cela n’était pas rentable puisqu’il était très coûteux de réutiliser les lanceurs comme le montrait l’exemple de la navette spatiale. Sauf que pendant que les autres parlaient Elon Musk réutilisa jusqu’à six fois en quelques mois le même lanceur…

Ainsi la nouvelle fusée européenne sera « morte », au plan de la compétitivité économique avant même son premier lancement ! Ce qu’il y a de terrible, c’est que tous les acteurs voient bien que cette forme d’activité spatiale va directement dans le mur. La NASA vient de contracter avec Elon Musk pour faire se poser des hommes sur la Lune au lieu de le faire avec des sociétés géantes comme Boeing ou Lockheed (ses fournisseurs habituels), mais personne ne réagit, et on peut malheureusement avoir la certitude que des milliards d’euros vont être gaspillés ainsi. De même que les grands dinosaures n’ont pas survécu au refroidissement de la température, de même, que restera t’il demain des quatre A (Areva, Ariane, Alsthom et Airbus) qui faisaient la fierté de la France et sa vitrine technologique ?

Il est urgent de comprendre que les succès dans le monde de demain seront basés sur des démarches « agiles » comme celles d’Elon Musk, Jeff Bezos et Burt Rutan qui font mieux que les grandes agences étatiques avec beaucoup moins de moyens, et cela pas seulement dans le secteur du spatial. La révolution qu’essaye de mettre en place Tesla (encore Elon Musk !) en est un autre exemple...
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