Société

Bac 2025 : un succès en trompe-l'œil

Par Philippe Oswald. Synthèse n°2522, Publiée le 07/07/2025 - Photo :

Des candidats regardent les résultats du baccalauréat  sur le portail du lycée Émile Loubet à Valence, le 4 juillet 2025.

Crédits : Nicolas Guyonnet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.
Salué par la ministre de l'Éducation nationale, le taux de réussite au bac ressemble aux vieilles statistiques soviétiques destinées à dissimuler la réalité : la « bienveillance » exigée des correcteurs masque l'effondrement scolaire. L'obtention de cet examen reste obligatoire pour accéder à l'enseignement supérieur, mais le « sésame » est désormais Parcoursup qui se base sur le contrôle continu.

Chaque début d'été, le rituel des résultats au baccalauréat occupe les médias. Cris de joie des nouveaux bacheliers, pleurs ou gémissements du petit nombre des recalés… Le bilan semble globalement très positif. L'objectif fixé en 1985 par Jean-Pierre Chevènement de mener 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat serait atteint. À croire que le niveau des candidats monte d'année en année. « Le taux de réussite est de 85,75 % avant les rattrapages, en légère hausse par rapport à 2024 (85,5 %) », s'est réjouie Élisabeth Borne, ministre de l'Éducation nationale (France info, 04/07/2025). L'an dernier, après les rattrapages, il avait atteint 91,2 %…

« Aujourd'hui, tout le monde ou presque réussit l'examen, constate Le Figaro (03/07/2025). Ainsi, de 1995 à 2024, le taux de réussite au bac est passé de 74,9 % à 91,2 %. Cela est d'autant plus paradoxal que la baisse du niveau scolaire des élèves en France est régulièrement évoquée... » « Résultats extraordinaires ! Pendant toute l'année, ils ne savaient pas écrire, ils ne savaient même pas qu'on met une majuscule en début de phrase ! » ironise Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste spécialiste de l'école, sur BFMTV (04/07/2025). Et de dénoncer ce vieux tour de passe-passe gouvernemental : « On a été bienveillants. On a remonté les notes comme il fallait. »

Toutefois, cette « bienveillance » ne s'exerce pas également envers tous : « ...ce diplôme supposément national se passe selon des modalités dépendant du statut de l'établissement : les candidats au bac issus d'un lycée privé hors contrat, de l'école à la maison ou les candidats libres se voient refuser de valider 40 % de leur diplôme au contrôle continu. À la place, ils doivent passer une bonne dizaine d'épreuves terminales de plus que les autres ! » relève Anne Coffinier, de la Fondation Kairos pour l'innovation éducative, dans le JDD (07/07/2025).

« Plusieurs voix de professeurs se sont fait entendre ces derniers jours, concernant les consignes reçues pour la notation des copies », confirme Aleteia (04/07/2025). Exemple, la tribune publiée sur le site de l'Association Française pour un Enseignement Ambitieux et Humaniste (AFPEAH, 25/06/2025), dénonçant les consignes reçues pour la notation de l'oral du Bac de français en classe de Première : ne pas tenir compte d'un bafouillage du candidat, imputable au stress ; glisser sur l'absence d'introduction ou/et de conclusion ainsi que sur les fautes de grammaire ou de vocabulaire, pour « valoriser l'élève qui a compris même s'il ne donne pas la terminologie attendue ». Surtout, rien de normatif ! Non seulement les commissions d'entente académiques enjoignent aux correcteurs de « relâcher la pression » sur l'orthographe et la syntaxe, mais les corrigés nationaux des dissertations sont à considérer « comme une proposition de pistes et non la représentation de ce que l'on doit s'attendre à trouver dans les copies d'élèves » relève Causeur (25/06/2025).

Pas question de faire de la qualité du langage un moyen de tri social ! Sauf qu'un brutal tri social s'effectue sans bruit, au détriment des classes populaires qui n'ont pas les moyens d'inscrire leurs enfants dans des établissements privés ou de leur payer des cours de « bachotage » avant l'examen, puis de « mise à niveau » pour acquérir une simple licence universitaire… elle-même généralement inadaptée à la vie professionnelle. Bilan : « en France, 36 % seulement des étudiants obtiennent leur licence en trois ans, contre 39 % en moyenne dans les pays de l'OCDE et 69 % au Royaume-Uni », résume Le Point (19/03/2025) sur la base d'une « alerte » lancée par la Cour des comptes qui estime à 534 millions d'euros le coût des redoublements, réorientations et sorties sans diplôme sur les trois années du premier cycle. Le plus grave étant l'incommensurable coût social : « Si rien ne change, sur les 950 000 étudiants qui se trouveront en cycle de licence à la rentrée 2025-2026, moins d'un sur deux aura obtenu son diplôme en 2030 », conclut l'hebdomadaire. Et combien de chômeurs parmi ceux qui auront obtenu une licence ? L'État ne fabrique-t-il pas ainsi chaque année des centaines de milliers de déçus, voire d'aigris, tentés de « faire la révolution » pour « changer le système » ?

« Avec des taux de réussite atteignant les 97 % dans certaines académies, le bac est surtout devenu une machine à alimenter le ressentiment d'élèves qu'on entretient dans l'illusion de la performance », juge Atlantico (05/07/2025, en lien également ci-dessous). Dans un entretien croisé, Lucien Rabouille, journaliste et enseignant, et Eric Deschavanne, professeur de philosophie et chargé de cours à la Sorbonne, dénoncent « cette grande illusion que l'État peine à cacher ». La dévalorisation du bac reporte une première sélection sur les notes obtenues au cours de l'année via Parcoursup, en attendant que l'examen de licence réalise l'hécatombe de la troisième année universitaire. Créé par Napoléon comme premier grade universitaire, le bac est devenu un mensonge social, dénonce elle-aussi Anne Coffinier : « Les bacheliers font l'expérience fondatrice du mensonge, avec la complicité coupable du monde des adultes. »

La sélection
Le taux de réussite au bac, étendard de l’échec retentissant de l’égalitarisme scolaire français
Lire sur Atlantico.
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