
L'affaire Boualem Sansal, miroir tendu à Paris et Alger
Encore un espoir déçu ! Le président algérien Tebboune n'a pas gracié Boualem Sansal. Arrêté le 16 novembre 2024 à l'aéroport d'Alger, l'écrivain franco-algérien a été condamné en appel le 1er juillet à une peine de cinq ans de prison ferme pour des propos relatifs aux frontières historiques de l'Algérie. Certains espéraient que la grâce présidentielle, accordée par le président Tebboune à 6 500 détenus le 5 juillet, jour anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, inclurait Boualem Sansal, incarcéré depuis plus de sept mois malgré son âge (80 ans) et son état de santé (cancer). En vain. Toutes les repentances et les cajoleries du président Macron n'auront pas eu l'effet désiré. « À la sentence prononcée contre un homme s'ajoute la volonté d'humilier notre pays en condamnant publiquement la liberté qui nous est chère et la littérature qui nous est propre », commente Vincent Trémolet de Villers dans son éditorial du Figaro (07/07/2025). Du côté de Paris, presque rien. À la hantise d'être une fois de plus renvoyé au passé colonial s'ajoute la crainte de la réaction volcanique des « quartiers sensibles ».
Paris humilié, Paris bafoué, Paris empêché aurait-il néanmoins alerté la Commission Européenne ? Aucunement, s'est indigné l'eurodéputé LR François-Xavier Bellamy invité du « Grand rendez-vous CNews-Les Échos-Europe 1 » (06/07/2025). Il en veut pour preuve l'ignorance totale affichée par Kaja Kallas, la haute représentante pour les Affaires étrangères de l'Union européenne : «Quand je lui ai parlé du cas Boualem Sansal, elle ne connaissait pas [sa] situation. Elle ne savait même pas que cette situation était un sujet de préoccupation pour nous, Français. Ça veut dire que la France, le gouvernement français, par la voix de sa diplomatie, n'avait pas fait savoir à la Commission européenne que ce sujet était pour nous prioritaire. Nous étions en tête à tête, elle m'a demandé d'épeler le nom de Boualem Sansal. C'est révoltant », a dénoncé l'eurodéputé. Pour sa part, le Comité de soutien international à Boualem Sansal relève « avec effroi », dans un communiqué de presse (06/07/2025), la « prétendue ignorance » de la haute représentante pour les Affaires étrangères de l'Union européenne. Et d'expliquer : « Cette prétendue ignorance est en contradiction flagrante avec le courrier adressé à Madame Kallas par le Comité le 6 janvier 2025, et nos démarches effectuées tant à Bruxelles auprès de ses services que par courriers, auxquels ceux-ci ont répondu en date des 25 février et 12 mars 2025, en assurant le Comité de l'engagement par Madame Kallas d'un « dialogue ouvert et respectueux » avec l'Algérie au sujet de Boualem Sansal. » On apprend ainsi que la Commission européenne croit ou fait mine de croire qu'Alger serait disposé à mener un « dialogue ouvert et respectueux » avec l'UE… Cette opinion n'a pas été confortée par l'arrestation, le 28 mai 2025 à Tizi Ouzou, du journaliste français Christophe Gleizes, spécialiste de football, et par sa condamnation fin juin à sept ans de prison pour « apologie du terrorisme »... En conséquence, le comité « réitère auprès de la Médiatrice européenne sa demande de remontrance de Madame Kallas [datée du 8 mai 2025] pour avoir failli à sa mission en ignorant ou voulant ignorer (…) l'action qu'il lui incombe de mener face aux violations par l'Algérie des principes démocratiques et des droits fondamentaux concernant en particulier les citoyens européens que sont Boualem Sansal, Christophe Gleizes et tout autre détenu franco-algérien en Algérie ». Enfin, « le comité interpelle le gouvernement français pour qu'il saisisse les autorités européennes afin de stopper le processus de renégociation de l'Accord d'association de 2002 (...) tant que tous les Franco-algériens ou Français détenus en Algérie ne seront pas rapatriés. »
Mais que peut-on attendre du gouvernement français ? Ses divisions rendent improbable l'ouverture du « front diplomatique » avec l'Algérie, réclamé par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau : « Il faut désormais poser un rapport de force. Nous avons été assez gentils, nous avons tendu la main. Qu'avons-nous eu en retour ? » s'indignait-il en février dernier sur TF1 (23/02/2025). Mais la « riposte graduée » annoncée reste bien en deçà du point culminant qui devrait être la dénonciation de l'accord de 1968 accordant aux Algériens des privilèges de circulation sur le territoire français. Le Premier ministre François Bayrou avait alors approuvé le ministre de l'Intérieur. Mais Emmanuel Macron les avait aussitôt recadrés : « Chacun est dans ses compétences. L'accord de 1968, c'est le président de la République ». Un recadrage qui ressemble à un veto. Celui-ci tiendra-t-il devant la pression de l'opinion publique ? Selon un sondage CSA pour CNEWS, le JDD et Europe 1 (09/07/2025), « 72 % des Français sont favorables à l'idée de supprimer l'accord franco-algérien de 1968 qui facilite les conditions de circulation, de séjour et d'emploi pour les Algériens en France ». « C'est notre posture vis-à-vis d'Alger qu'il faut revoir désormais. Aura-t-on cette lucidité à défaut du courage ? » s'interroge l'ex-ambassadeur Xavier Driencourt dans le JDD (09/07/2025, en lien ci-dessous).