
La Chine : le laboratoire du contrôle social dont le monde s'inspire
Ici, tout passe par le smartphone. Le paiement mobile est la norme, impossible d'y échapper, les CB ne sont pas acceptées. Deux applications règnent sur le quotidien, Alipay et WeChat. Tout y est centralisé : portefeuilles numériques, services publics, transport, messagerie, santé, nourriture… Elles concentrent des fonctions que, chez nous, on éparpille entre des dizaines d'apps (gérées par Apple Store ou Google Play, qui se voient imposer ou imposent leurs règles). Concrètement, ces applis vous génèrent un QR code et un code-barres personnels. Dans n'importe quel commerce (même un stand de street food), un QR code propre au lieu est affiché, vous le scannez, vous envoyez la somme. Autre solution, c'est le commerçant qui scanne votre smartphone et le montant est débité. Scanner ou être scanné, telle est la question. Vous pouvez recevoir ou envoyer de l'argent à n'importe qui via les mêmes mécanismes. Un monde sans cash où toute transaction est traçable. En réaction, le Mouvement Suisse pour la Liberté veut inscrire l'usage de l'argent liquide dans la Constitution suisse. Ils revendiquent « la liberté de payer sans laisser de trace ». En Chine, chaque ville peut aussi faire l'objet de tests grandeur nature (monnaie numérique avec date d'expiration, ou paiement à l'aide de votre visage par exemple).
Sur Alipay, on trouve tout (comme sur Alibaba, du même créateur). Vous avez même votre carte de métro, sous forme de QR code. D'ailleurs, le métro surprend aussi : à chaque station, il y a des contrôles poussés (bagages aux rayons X, portiques, fouilles). La sécurité et le contrôle sont l'ossature d'un pays-continent de 1,4 milliard d'habitants et le numérique y est l'outil du pouvoir. Une société fonctionnant par la contrainte et la peur de la sanction, car la justice est implacable (par exemple, un vol avec effraction est puni de 5 à 7 ans de prison ferme). Il n'y a pas de système de bracelet électronique ou de semi-liberté. 46 infractions sont passibles de la peine de mort. Sur ce point, ils s'opposent aux Nations unies, puisqu'ils prononcent parfois la peine capitale pour trafic de drogue ou délits sexuels.
Le système est imposé, vous vous adaptez. N'est-ce pas le rêve communiste rendu possible par la technologie ? Ces outils semblent lui assurer la possibilité de perdurer en tout cas. La censure est l'autre point visible. Les géants comme Facebook, Instagram, WhatsApp ou Google sont bloqués. L'Occident y voit une atteinte à la liberté et une preuve de la dictature. Mais est-ce dictatorial que de refuser la domination des GAFAM (alors même que le monde entier dit vouloir réduire leur influence) ? La Chine assume un souverainisme numérique. Là où le reste du monde suit un modèle unique sous couvert de libre accès, Pékin oppose ses alternatives, critiquables certes, mais cohérentes. De plus, c'est limité au numérique, car Mcdonald's, Starbucks ou Apple sont bien présents. Utiliser un VPN permet de contourner cette censure.
La Chine est souvent la cible des critiques, pourtant ses méthodes inspirent. Dans une interview sur Legend, Mr Darmanin reconnaît que la criminalité a « métastasé » en France, et que seule la technologie peut y répondre. Il affirme que « si vous voulez une société sécure, il faut la reconnaissance faciale », un pilier du modèle chinois, où tout citoyen peut être identifié en quelques secondes. Il en vante aussi les bénéfices pour gagner du temps à l'aéroport. Les outils chinois s'intègrent depuis peu chez nous (par exemple, le pass réitéré pendant les JO). Restrictions des libertés en Chine, mais seul moyen de les garantir chez nous ? Elles semblent s'imposer de fait ou être présentées comme voulues par le peuple, quand en Chine elles sont imposées par un état dictatorial. Dynamique inverse mais résultat similaire.
Le cas Jack Ma (multimilliardaire fondateur d'Alibaba et Alipay) est intéressant, car il a été écarté après avoir critiqué le pouvoir. Il rappelle que l'État reste maître et que l'entreprise privé n'existe pas sans prêter allégeance. Mais en Europe aussi, cette frontière se brouille de plus en plus, notamment avec des plateformes comme le Forum Économique Mondial (voir LSDJ 2520). Dans son livre blanc qui dépeint sa stratégie (notre selection), Pékin ne s'en cache pas : il s'agit de défendre l'identité nationale face à un monde jugé « hégémonique et déstabilisateur ». Dans l'UE, des chaînes télés ont été fermées (France, Pologne), des contenus sont retirés des plateformes sur demande, et la censure vise des contenus jugés « problématiques » bien que respectant les règles, comme l'a reconnu le directeur de YouTube France en audition parlementaire. De nombreux influenceurs ou structures dites « de droite » ou « non alignées », comme l'entreprise Kalos ou le collectif féministe Nemesis, dénoncent des fermetures de comptes (bancaires ou sociaux) arbitraires. On pourrait continuer, car la liste est longue, mais tout se fait au nom de la « lutte contre la haine », « contre la désinformation » ou de la « protection des minorités ». Des justifications pas si différentes de la « stabilité sociale » ou la « sécurité » invoquées par la Chine finalement.