La désorganisation des pouvoirs publics français engendre de grands surcoûts et une inefficacité criante
Jean-Louis Borloo cite souvent l'exemple du commissariat de Boulogne Billancourt, délabré, qui attend depuis 18 ans d'être rénové pour un coût 2 fois supérieur aux prévisions (cf. Discours aux élus locaux, Toulouse, le 9/10/2025).
En 2007, quand l'État repère ce bâtiment dégradé et le déclare comme prioritaire, il n'a pas les moyens de financer les travaux et part donc à la recherche de cofinancements : la ville, la région, l'agglomération, le département, les fonds FEDER, le ministère de l'Intérieur, Bercy, etc. Résultat : quarante réunions, quarante personnes en moyenne, sur vingt ans. Le coût, prévu à 13 millions, est évalué finalement au double, parce que chaque financeur impose sa vision et ses modifications.
Ce type de dysfonctionnement provoqué par un trop grand nombre d'intervenants n'est pas un cas isolé : le Grand Paris, prévu à 22 milliards (cf. Sénat 2020), finit à 40 (cf. Cour des Comptes 2024), avec sept ans de retard pour les mêmes raisons. En 2014, l'Institut Montaigne constatait qu'aujourd'hui « construire un bâtiment public s'apparente à un véritable parcours du combattant [...]. L'enchevêtrement administratif crée des doublons, qui génèrent autant de surcoûts pour le contribuable. » Le « cofinancement » est un mot scientifique qui sert à justifier le désordre comme les 61 réunions de préfiguration (!) sur une action publique à Marseille ; « Les travailleurs sociaux qui s'occupent des gamins ? Il y a au moins 8 niveaux avec les équipes de la ville, de l'agglo, de la caisse des allocations familiales, du département, de l'Etat, l'hôpital, les associations agréées (ADSEA, FAA, AED, MMECS, etc.) et les acteurs privés. Les mamans isolées ? Pareil », se désole Jean-Louis Borloo, exaspéré (cf. Ministère du Travail, de la Santé et de la Solidarité). Tout le monde s'y perd et personne n'est capable de dire qui s'occupe par exemple des APL ou de l'allocation adulte handicapés, parce que les systèmes multi-acteurs et multi-niveaux engendrent une complexité énorme. Le président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici, l'a glissé en filigrane dans son édito du rapport 2023 : « Les modalités de financement des collectivités se sont complexifiées, entre dotations de l'État, part d'impôts nationaux, fiscalité et redevance locales. L'organisation des compétences territoriales s'est également traduite par une augmentation significative des dépenses locales. »
L'émiettement des pouvoirs publics auquel on est arrivé en France est unique au monde. Dans Face au mur (L'Observatoire, 2025), Agnès Verdier-Molinié, directrice de l'IFRAP, signalait que « dans le domaine de la santé, nous avons déjà quasiment deux ministères : le ministère de la Santé et la Caisse nationale d'assurance-maladie. Le ministère emploie 8000 personnes dans les agences régionales de santé (ARS), tandis que la Caisse nationale emploie 70.000 personnes dans les caisses primaires départementales. Pour résumer, on a un ministère déconcentré en régions et un autre en départements ! »
Ce n'est donc pas simplement le fameux « mille-feuille administratif », avec ses 5 échelons en plus de l'Europe : de l'État (445 milliards d'euros de budget, 2,5 M de fonctionnaires) aux collectivités territoriales composées de 13 régions, 101 départements, des intercommunalités diverses (22 Métropoles, 14 communautés urbaines, 989 communautés de commune, 230 communautés d'agglomération, 1254 Intercommunalités simples) et 35 000 communes (330 milliards de budget, 2 M d'agents). Il faut ajouter à tout cela les 20 autorités administratives indépendantes (comme la Commission de Régulation de l'Énergie) et surtout la Sécurité sociale (666 milliards de budget), toutes ces structures se déclinant en d'innombrables organismes paritaires, comités, agences, associations,... Le logement est un cas d'école de cet émiettement absolu : les APL sont versées par la CAF (au niveau départemental), la rénovation financée par l'ANAH (depuis Paris), l'accès au logement des salariés assuré par Action Logement (organisme paritaire à réseau régional), les préfectures sont chargées de l'hébergement d'urgence, les HLM – gérés localement par près de 700 bailleurs publics ou privés – sont financés par la Caisse des Dépôts (Paris), et l'UNAF, avec ses UDAF locales, représente les familles. Sans compter l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU).
Ce niveau de désorganisation sidérant est le fruit de velléités de décentralisation non abouties, qui se révèlent inefficaces et très coûteuses. L'État a transféré des pans entiers de compétences aux régions, départements, intercommunalités et communes, mais sans aller au bout de la logique : il n'a jamais complètement transféré les moyens, le financement ou l'autorité et il conserve un droit de regard presque partout. Résultat : pour garder la maîtrise, le nombre de normes explose, de 216 347 articles et règlements déjà en vigueur en 2002 à 359 851 articles législatifs et réglementaires en vigueur en 2025 d'après Légifrance. Le surcoût a été chiffré à près de 60 milliards par an par l'OCDE et à bien plus selon l'IFRAP, mais c'est plus fondamentalement une crise de gouvernance. Car rien ne fonctionne bien. Université, école, logement, prisons, agriculture, hôpitaux, justice, croissance de la violence, perte de contrôle migratoire, jeunesse abandonnée et désespérée : partout les coûts augmentent et les résultats s'effondrent. « Et pourtant tout cela est fait par des gens de bonne foi, honnêtes, intelligents et qui travaillent », assure Jean-Louis Borloo. C'est donc, selon lui, « un problème d'organisation ». En 2014, l'Institut Montaigne déclarait déjà qu'une « simplification territoriale ambitieuse permettrait assurément de dégager des économies en termes de masse salariale mais aussi des gains de temps précieux. »
La solution passe certainement par une clarification et il n'y a que deux formules viables : la centralisation ou la fédération. « Toutes les organisations qui fonctionnent, que ce soient les États, les religions, les armées ou les syndicats sont sur l'un ou l'autre de ces modèles et les deux sont possibles ». Le Portugal est centralisé, l'Espagne est fédérale, mais les deux fonctionnent car on sait qui fait quoi. Mais « la France a inventé un système hybride inefficace où tout le monde s'occupe de tout » et « on va à la catastrophe », prédit Jean-Louis Borloo, pour qui les tristes bilans financiers qu'on nous présente sont en réalité très flatteurs par rapport à la gravité de la situation. Face à l'ampleur de la crise, l'ancien ministre appelle de ses voeux une prise de conscience et une perestroïka (littéralement : reconstruction) à la Française.
Une option possible serait d'assumer être une République fédérale, en redéfinissant la place de chaque acteur avec une compétence pleine et entière (législative, normative et financière). L'État se limiterait aux fonctions régaliennes : sécurité intérieure et extérieure, politique internationale, justice, contrôle migratoire, recherche, espace, mers et océans. Tout le reste serait géré par les provinces organisées avec un Parlement et des règles spécifiques notamment pour le logement, les services sociaux, les hôpitaux, l'écologie, les familles et les questions sociales, le soutien à la jeunesse, l'orientation, le sport, la culture, avec un vrai pouvoir législatif, qui entraînerait la suppression d'environ 200 000 normes nationales. Enfin, le paritarisme (syndicats et organismes sociaux comme la Sécurité Sociale et la CNAF) devrait être revivifié et mieux coordonné avec le niveau territorial. Une telle réforme permettrait d'avoir une vraie clarté et de donner du sens et de l'efficacité à l'action publique. Le général de Gaule avait anticipé en 1969 cette nouvelle architecture nécessaire entre les provinces et l'État, mais la question n'a pas été réexaminée sérieusement depuis.
Jean-Louis Borloo propose cette République fédérale. Tout le monde y est apparemment favorable, comme l'ont montré les débats au congrès des maires, au congrès des intercommunalités et au Sénat. Et les Français l'approuvent à 71 % dans un sondage IFOP du mois d'août 2025. Il serait peut-être temps de se pencher sur ce problème ! ...
- Selon Jean-Louis Borloo, la France est minée par une désorganisation structurelle. L'État n'est pas allé au bout de la logique de la décentralisation, créant un système hybride mal pensé et ruineux.
- On peut parler d'un émiettement unique au monde des pouvoirs publics, qui se traduit par un nombre incalculable d'organismes de l'État, des collectivités ou de la Sécurité sociale qui se chevauchent ou se juxtaposent. Cela débouche sur des coûts astronomiques et sur un manque d'efficacité criant.
- Pierre Moscovici, président de la Cour des Comptes rejoignait ce constat en 2023, quand il affirmait que « l'organisation des compétences territoriales s'est également traduite par une augmentation significative des dépenses locales. »
- Une solution serait de redéfinir la place de chaque acteur avec une compétence pleine et entière. L'État pour les fonctions régaliennes. Tout le reste géré par les provinces. Ce serait le choix d'une république fédérale, comme il y en a bien d'autres en Europe.