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Le plan de paix américain pour Gaza bute sur l'antagonisme entre Israéliens et Turcs

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°2608, Publiée le 25/11/2025 - Photo : 20 octobre 2025, le président Donald Trump expose à Charm El-Cheikh le contrat de paix signé avec le président turc Erdogan et le président égyptien el-Sissi. Crédits : Shutterstock (photo Saku_rata160520).
Le cessez-le-feu à Gaza, imposé par la diplomatie américaine depuis le 10 octobre dernier, offre un grand espoir de retour à la paix. Un espoir bien fragile, tant la route vers la construction d'une « riviera » dans la bande de Gaza, rêvée par Donald Trump, paraît semée d'embûches. Un fossé se creuse entre Israéliens et Américains autour du rôle de la Turquie dans le processus de paix.

Donald Trump a fait le forcing en septembre dernier pour imposer son plan de paix aux parties opposées. La pression était intense sur Benjamin Netanyahou, qui a été contraint d'accepter un cessez-le-feu. Adopté par l'ONU le 17 novembre grâce à l'abstention de la Russie et de la Chine, c'est un succès pour la diplomatie américaine. Le fragile cessez-le-feu a débuté le 10 octobre, suivi par la libération des otages du Hamas encore en vie, ainsi que celle de 2 000 prisonniers palestiniens.

La résolution du 17 novembre ouvre la voie à un processus en plusieurs étapes. D'abord, le retrait progressif des forces israéliennes de la bande de Gaza, suivi par la démilitarisation des groupes armés palestiniens. Ensuite, une « force internationale de stabilisation » (ISF) doit intervenir sur le territoire gazaoui, pour garantir la sécurité des frontières avec l'Égypte et Israël, et maintenir l'ordre en formant une police locale. Un « Comité de la paix » présidé par Donald Trump devra – une fois la situation sécuritaire jugée suffisamment bonne – organiser un gouvernement de transition. Le texte adopté par l'ONU mentionne même la possibilité d'une autodétermination...

Si le plan de paix a été bien accueilli par la communauté internationale, le chemin reste long pour arriver à la « riviera du Moyen-Orient » rêvée par Donald Trump. On connaît les fortes réticences israéliennes pour accepter l'idée même d'un État palestinien, et le refus du Hamas d'abandonner la possibilité de recourir au terrorisme et à la lutte armée. Une autre difficulté, moins visible, gêne le déploiement de l'ISF : l'implication de la Turquie. Soutenue par Washington, elle est rejetée par Jérusalem, et ce désaccord manifeste que l'alliance entre Américains et Israéliens est fragilisée par une profonde divergence de vues sur les enjeux au Moyen-Orient... Ankara semble avoir joué un rôle majeur dans le cessez-le-feu du 10 octobre, et Erdogan entend être payé en retour en participant à la reconstruction et au maintien de la paix.

Si Jérusalem accepte du bout des lèvres que les Turcs soient présents à Gaza pour participer aux projets civils, le refus est catégorique concernant la partie sécuritaire. Du bout des lèvres, car la « Turkish IHH Humanitarian Relief Foundation », déjà présente sur place pour apporter de l'aide à la population, est liée aux Frères musulmans. Cette ONG avait d'ailleurs organisé la « flottille » d'activistes islamistes et de leurs alliés qui, en 2010, avaient tenté sans succès de rompre le blocus naval israélien. L'arrivée de troupes turques à Gaza est une ligne rouge pour le gouvernement israélien.

Les tensions se sont accentuées depuis les attaques terroristes du 7 octobre 2023, et les Israéliens voient de plus en plus en Ankara le pendant sunnite de Téhéran. Jérusalem accuse la Turquie d'abriter à Istanbul un bureau important du Hamas et de fournir à ses cadres des passeports turcs pour leur permettre de circuler plus facilement. Par ailleurs, Recep Tayipp Erdogan n'a jamais condamné les atrocités du 7 octobre, mais considère ouvertement le Hamas comme un « mouvement de libération ». En outre, il y a juste quelques jours, Ankara a délivré des mandats d'arrêt contre Netanyahou et 36 autres officiels israéliens, les accusant de « génocide ». En plus du désaccord frontal concernant le Hamas et la politique israélienne en Palestine, Jérusalem voit, dans l'idée d'inviter des troupes turques à Gaza, une nouvelle étape d'une stratégie expansionniste. Le retour d'une politique néo-ottomane visant à dominer toute la région. Il y a eu les incursions militaires en Irak et en Syrie, le déploiement de drones et de milices en Azerbaïdjan et jusqu'en Libye, son influence grandissante au Liban et en Cisjordanie enfin... Son alliance avec le richissime Qatar (un ancien territoire aux marches de l'Empire ottoman) et son expansionnisme en Méditerranée (la stratégie de la « patrie bleue » ou « mavi vatan »), visant à élargir ses zones économiques exclusives, démontrent l'appétit de la Turquie. Erdogan lui-même ne s'en cache pas : « La géographie spirituelle de la Turquie s'étend de la Syrie à Gaza, d'Alep (Syrie) à Tabriz (Iran), de Mossoul (Irak) à Jérusalem ».

Donald Trump soutient l'implication de la Turquie en Palestine, considérant cet allié membre de l'OTAN comme une garantie de stabilité. On l'a vu très accueillant lors de la visite d'Ahmed al-Charaa, le nouvel homme fort à Damas. Ce dernier était aussi connu sous le nom d'al-Joulani, en référence au Golan contrôlé par Israël... Un fossé se creuse entre Washington et Jérusalem : Donald Trump entend imposer un « deal » à la manière d'une transaction immobilière avec Erdogan, dans le rôle d'un assureur. Si la perspective d'un processus de paix est saluée, Washington ne semble pas (vouloir) voir les profondes fractures idéologiques et historiques au Moyen-Orient. Les Israéliens ont cru, avant le 7 octobre 2023, que l'argent allait pacifier les cadres du Hamas, un peu comme on a cru rendre la Chine démocratique grâce au libre-échange... Ils sont convaincus depuis que la Turquie est du côté de leurs ennemis.

À retenir
  • Le cessez-le-feu du 10 octobre 2025 dans la bande de Gaza offre un réel espoir de pacification de la région.
  • Le plan de paix a été approuvé le 17 novembre par l'ONU, mais la route reste semée d'embûches.
  • En plus des actions des extrémistes israéliens et palestiniens, le chemin vers la paix est fragilisé par des dissentions entre Américains et Israéliens.
  • Le rôle central qu'entend jouer la Turquie dans la force de stabilisation à Gaza est rejeté par Jérusalem, qui s'inquiète de l'islamisme affiché par Erdogan.
La sélection
Why Israel fears Turkey's involvement in Gaza
The Spectator
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