On estime qu'il a été utilisé par plus de six milliards de personnes à travers le monde. Mais derrière VLC, pionnier du streaming vidéo, ce petit logiciel bien pratique pour lire facilement une vidéo sur n'importe quelle machine, se cache une association, et l'ingénieur français Jean-Baptiste Kempf, qui a refusé de devenir millionnaire, juste par respect des utilisateurs. Une démarche rare à l'heure des start-ups et des fortunes express…

Retour en 1996, au sein de la très renommée École Centrale, à Paris. Un groupe d'étudiants veut pouvoir diffuser des vidéos en streaming sur le réseau du campus. Officieusement, ils veulent surtout pouvoir jouer à Doom en réseau… Une idée qui va devenir un projet d'étude creusé d'année en année. Mais il faudra attendre quatre ans pour que VLC soit enfin en mesure de lire n'importe quel format vidéo, sur n'importe quel support, sans publicité, et sans collecter de données sur ses utilisateurs. D'ordinaire, dit-on, si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit. Mais pas avec cet outil collaboratif né bien avant YouTube ou Netflix. VideoLAN Client, alias VLC, devient vite un logiciel libre, accessible et modifiable gratuitement, dès 2001. C'est ce que l'on appelle le modèle open source. En 2004, il franchit la barre du million de téléchargements, mais le projet patine, faute de bonnes volontés pour le gérer. L'association VideoLAN, dont Jean-Baptiste Kempf devient président, prend le relais en 2008 pour booster l'idée, portée par une nouvelle génération de développeurs.

En 2009, VLC passe la barre des 100 millions de téléchargements, puis du milliard en 2012. Mais toujours sans rapporter un centime ! Le succès du lecteur vidéo made in France dépasse vite les frontières de l'Hexagone. Pour faire face aux dépenses et disposer de salariés à plein temps, une société du nom de Videolabs sera créée quatre ans plus tard, afin d'adapter VLC aux besoins des entreprises. Pas de communication, de levée de fonds, ni d'investisseurs. « Seulement de bons produits, un site web simple, et un bouche-à-oreille efficace. » « La raison fondamentale du succès de VLC, c'est que personne n'a cherché à ce que ce soit un succès, résumait Jean-Baptiste Kempf il y a quelques années de cela. C'est un logiciel fait par des geeks pour des geeks, pour se faire plaisir, donc il n'y a pas eu de marketing, il n'y a pas de fonctionnalités qui ne servent à rien. Le but, c'est juste de faire plaisir à nos utilisateurs. C'est vraiment un produit qui répond au besoin utilisateur et c'est toujours ce qui nous a définis. [...] J'aurais pu me faire énormément d'argent. Mais il est hors de question que je gagne de l'argent de façon qui ne soit pas éthique. Donc, mettre de la publicité, c'est-à-dire finalement espionner les utilisateurs, c'est hors de question. Attention, je ne suis pas contre le faire de l'argent et gagner de l'argent. Je suis contre le faire mal. »
Résultat : VLC est le logiciel français le plus utilisé au monde, et ses créateurs n'ont pas hésité à refuser les fortunes proposées par de grands acteurs du Net pour afficher des publicités à leurs millions d'utilisateurs. « J'ai préféré refuser des offres, même de plusieurs millions d'euros, parce que l'on respecte nos utilisateurs et qu'on ne veut pas les surveiller », confie Jean-Baptiste Kempf. « Nous ne sommes pas réfractaires à l'idée d'avoir un modèle économique, mais jusqu'ici nous n'avons jamais eu de propositions qui ne se fassent pas au détriment des utilisateurs. » Une question de principe, qui vaudra à l'ingénieur philanthrope de se voir décerner l'Ordre national du mérite en 2018… aux côtés d'un hacker ! Une reconnaissance symbolique pour deux représentants de la culture du logiciel libre, et un bel hommage à une success-story bénévole.