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Vladimir Poutine et Kim Jong Un : qui mène la danse au « bal des parias » ?

Par Peter Bannister - Publié le 16/09/2023 - Photo : Vladimir Poutine et Kim Jong Un au cosmodrome de Vostotchny (AFP PHOTO/KCNA VIA KNS).

 « Bal des parias », « Bras d'honneur à l'Occident » - c'est ainsi qu'on a décrit la récente rencontre entre Vladimir Poutine et le président nord-coréen Kim Jong Un, lors de laquelle ce dernier a salué les actions de la Russie en Ukraine et promis son soutien à la « lutte sacrée » contre l'impérialisme. Cette rencontre a certes une forte dimension symbolique, le voyage russe de Kim étant sa première visite à l'étranger depuis la pandémie du covid-19. Mais s'agit-il uniquement d'une opération de communication anti-occidentale, ou d'un pas vers un partenariat militaire entre les deux pays ? D'où vient l'enthousiasme de Kim envers la Russie et quels sont les enjeux actuels pour Moscou et Pyongyang ? Et qu'en pense la Chine, acteur incontournable en tout ce qui touche à la péninsule coréenne ?

Pour le régime de Kim, soutenir la Russie découle de l'histoire de la Corée du Nord depuis le début de son existence en 1948 sous son grand-père Kim Il Sung. En 1945, lors de la fin de la décennie de domination japonaise, on divise la péninsule coréenne au 38e parallèle, le Nord étant occupé par l'URSS. En 1950 Kim Il Sung attaque le Sud avec des armes soviétiques. Des forces de l'ONU interviennent sous le Général américain Douglas MacArthur, mais leur contre-offensive est stoppée par des forces chinoises, soutenues par l'aviation soviétique. On frôle la guerre totale : MacArthur essaie de convaincre le président Harry Truman de larguer 20 à 30 bombes atomiques sur la Chine, mais Truman le limoge pour insubordination. Le 27 juillet 1953, quelques jours après la mort de Staline, on signe un armistice, mais sans traité de paix entre le Nord et le Sud, qui restent techniquement en guerre encore aujourd'hui. Les relations entre Pyongyang et Moscou se refroidissent après la chute de l'URSS, mais repartent sous Vladimir Poutine : en 2012 la Russie annule 90 % de la dette nord-coréenne.

Il est évident que la rencontre avec Poutine, permettant à Kim Jong Un de renouer avec la rhétorique historique anti-impérialiste, est un coup de propagande majeur. Elle lui ouvre par ailleurs la possibilité d'échanger des armes contre des denrées alimentaires (la faim étant très répandue en Corée du Nord) ou du matériel pour ses programmes d'armement ou de haute technologie (satellites, sous-marins nucléaires…).

Du côté russe, l'idée d'utiliser des armes nord-coréennes en Ukraine n'est pas nouvelle. L'attitude officielle de Moscou concernant la coopération militaire avec Pyongyang est ambiguë dans la mesure où, entre 2006 et 2017, la Russie a soutenu les embargos du Conseil de sécurité de l'ONU par rapport à la vente d'armes par la Corée du Nord. Toutefois, il existe des indications que le groupe Wagner aurait déjà acheté des obus d'artillerie, des roquettes d'infanterie et des missiles à Pyongyang en janvier 2023. En outre, le ministre russe de la défense, Sergei Choïgou, s'est rendu chez Kim Jong Un en juillet 2023 pour marquer le 70e anniversaire de l'armistice de 1953, bénéficiant d'une visite guidée d'une exposition d'armes de pointe.

Beaucoup de commentateurs ont interprété l'accueil de Kim par Poutine comme une admission de faiblesse par rapport aux opérations en Ukraine, où l'armée russe manque de munitions. Si la Russie s'est tournée vers un pays aussi pauvre que la Corée du Nord, c'est avant tout à cause de ses vastes stocks d'obus datant en grande partie de l'époque de la guerre froide et compatibles avec le matériel russe. Pourtant, on peut aussi considérer que le recours aux armes de Pyongyang montre la détermination russe de poursuivre la guerre en Ukraine dans la durée, comme l'estime le Général Dominique Trinquand. Selon lui, la Russie compterait sur l'artillerie pour défendre ses positions existantes en misant entre autre sur l'arrivée d'un président américain moins hostile que Joe Biden suite aux élections de 2024.

Les opinions des analystes divergent par contre au sujet de l'attitude de la Chine, difficile à cerner, envers le partenariat entre Poutine et Kim. La Chine s'abstient pour l'instant de s'engager directement dans le conflit ukrainien. De plus, d'un côté, on soupçonne que la Corée du Nord pourrait offrir à la Chine un canal clandestin pour armer la Russie tout en évitant des sanctions occidentales. D'un autre côté, certains estiment que les Chinois seraient irrités par la priorisation par Pyongyang de ses relations avec Moscou plutôt qu'avec Beijing. Les intérêts de la Russie et de la Chine peuvent certes coïncider momentanément, mais ils sont loin d'être identiques à long terme. Une guerre prolongée en Ukraine pourrait faire l'affaire des Chinois en « fixant » l'attention des Américains, mais aussi parce que la guerre affaiblirait l'économie russe, tandis que la Chine poursuivrait sa longue marche vers l'hégémonie mondiale, notamment en maintenant ses relations commerciales avec l'Occident - essentielles pour l'économie chinoise en difficulté - en évitant de rejoindre trop ouvertement le « bal des parias ».

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