À Villers-Cotterêts, Emmanuel Macron inaugure la Cité internationale de la langue française
« En quinze cent quinze, c'est Marignan », claironnait Annie Cordy aux oreilles des écoliers. Et 1539, qui s'en souvient ? Cette année-là, par son ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier fait du français la langue de l'État, du droit et de la justice. Ce très long texte (111 articles !) relègue à jamais le latin que le peuple ne comprenait plus. Il fallait en finir avec les conflits juridiques et judiciaires afin « qu'il n'y puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ni lieu à en demander interprétation ». Cette ordonnance consacre d'autres édits pris sous Charles VIII (1490) ou Louis XII (1510). François Ier lui-même, avec l'ordonnance d'Is-sur-Tille (1535), avait déjà recommandé que les actes fussent rédigés en français ou « à tout le moins » dans la langue du pays, expression importante puisqu'elle marquait une hiérarchie entre l'idiome de tous et les parlers régionaux.
Au passage, le monarque si chatoyant réduit l'influence de l'Église, même si les clercs héritent de l'état civil. Il n'empêche : « Le français se veut dorénavant l'égal de ce qui était considéré alors comme les trois "langues du bon Dieu" (hébreu, grec, latin) », notait la linguiste Nina Catach. En fait, au côté du latin universel, la monarchie se dit qu'elle a sous la main, ou plutôt sur la langue, un moyen d'unifier la France. C'est aussi en 1539 que sort le premier dictionnaire français-latin de Robert Estienne.
Le château de Villers-Cotterêts (Aisne) est un lieu chargé de symbole, ce qu'Emmanuel Macron remarque en 2017 lorsqu'il voit l'état de délabrement avancé de cette ancienne résidence de chasse royale transformée en Ehpad. Il la fait restaurer par le Centre des monuments nationaux (CMN) pour 210 millions d'euros. Villers-Cotterêts est le deuxième plus gros chantier culturel de sa présidence après Notre-Dame de Paris. Ce joyau Renaissance, situé à 80 km de la capitale, renaît effectivement sous les ors de la Cité internationale de la langue française inaugurée lundi par le chef de l'État. Dès novembre 2024, Villers-Cotterêts abritera le sommet de la Francophonie, où 88 États seront représentés.
Tout va-t-il donc pour le mieux ? Pas du tout. Des voix s'affligent et s'offusquent, comme celle de l'académicien Jean-Marie Rouart. Pour lui, Emmanuel Macron ressemble à Don Quichotte et son « joujou présidentiel » à un « château d'illusions ». Au lieu de s'enthousiasmer, il lui fait porter le bonnet d'âne de l'abandon du français, sans lui faire aucun crédit, pas même celui de s'opposer à l'écriture inclusive, au moment même où le Sénat, sur proposition de la droite, s'emploie à l'interdire, après deux circulaires déjà limitatives en 2017 et 2021. Sa plume ne relève pas non plus que cette Cité vaut mieux que les grandes balafres ésotériques que le sphinx mitterrandien infligea au Palais Royal et au Louvre.
Jean-Marie Rouart pointe deux maux bien français : Disneyland et Waterloo. Si on ironisait, on dirait que, côté Disney, c'est Villers-Coteries et que pour Waterloo, c'est Villers-Cautère. L'académicien s'inquiète de voir « la langue dans un musée » et si son directeur Paul Rondin veut en faire une « maison vivante », Rouart rappelle que l'ex-président du Festival d'Avignon est le cofondateur de la French Tech Culture (sic). Le risque est que la Cité devienne « un lieu de réflexions platoniques (…) dans la vaste farandole des comités Théodule et des usines à gaz bureaucratiques » destinés à « recaser les recalés des officines politiques ».
Pour le cautère, l'académicien se demande « pourquoi sanctifier un symbole dans le même temps où l'on abandonne la langue française à (...) devenir une langue morte remplacée peu à peu par un sabir franco-anglais ». Ce qui est tendance, décide de l'avenir, ne se fait pas en français, comme si nos élites n'y croyaient plus. C'est vrai de la business school à l'industrie de l'entertainment. Sport, cinéma, musique, media : l'anglais est la norme et une matière aussi sélective que les maths. Pendant ce temps, l'école néglige la syntaxe, l'orthographe, la lecture et punit les humanités, le latin et le grec.
Ce paradoxe ulcère certains observateurs, comme Ilyes Zouari, président du Centre d'Etude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF). Il estime que « la France de ces dernières années, gouvernée par des européistes et des atlantistes depuis l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007, se livre à une intense politique d'éradication de la langue française en France et dans les institutions internationales, et encore plus depuis l'accession aux plus hautes responsabilités d'Emmanuel Macron ».
Du « One Ocean Summit » au torpillage des associations de promotion du français, Ilyes Zouari égrène « 12 points (…) plus incroyables les uns que les autres, tous observés sous la présidence française actuelle », laquelle, quoi qu'elle fasse, est marquée du sceau de la « start-up nation ».
Une question donc, demeure : pourquoi magnifier un jour ce que l'on piétine toujours ?