Victoire turque au Haut-Karabakh
Les Russes dont la « realpolitik » pourrait bien masquer une certaine faiblesse, restent néanmoins les maîtres du jeu. Cosignataire du cessez-le-feu avec le président de l’Azerbaïdjan et le premier ministre de l’Arménie, Poutine a souhaité que cet accord puisse mener « à la création des conditions nécessaires pour un règlement durable » du conflit. Le président russe a déployé deux mille soldats et une centaine de blindés pour le faire respecter et maintenir un corridor terrestre entre l'Arménie et les territoires encore sous contrôle séparatiste.
Avec au moins 1300 morts arméniens (on ne connaît pas le nombre de morts azerbaïdjanais), les combats qui ont opposé depuis la fin septembre les séparatistes arméniens et l’armée azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabakh ont été les plus sanglants en près de trente ans. L’Azerbaïdjan a entrepris le 27 septembre de récupérer cette province qui avait fait sécession pour devenir de facto indépendante au début des années 1990, à l’issue d’une guerre qui fit plus de 30 000 morts. Ce conflit est un héritage de l’époque soviétique : c’est Staline qui avait machiavéliquement rattaché le Haut-Karabakh, peuplé d’Arméniens chrétiens, à l’Azerbaïdjan musulman.
Les Arméniens constatent avec amertume leur échec. À Erevan, capitale de l’Arménie, le siège du gouvernement et le Parlement ont été envahis par des émeutiers en colère après que le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, eut annoncé la signature « incroyablement douloureuse pour moi et pour notre peuple » du cessez-le-feu. Il avait toutefois ajouté : « Nous ne nous reconnaîtrons jamais comme des perdants, et cela devrait être le début de notre ère d’unification nationale et de renaissance. » La haine qui oppose de longue date les Arméniens et les Azerbaïdjanais s’affiche clairement dans la déclaration de victoire du président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, à la télévision : « Nous avons forcé [le premier ministre arménien] à signer le document, cela revient à une capitulation. J’avais dit qu’on chasserait [les Arméniens] de nos terres comme des chiens, et nous l’avons fait ». « L’Azerbaïdjan a remporté des gains importants sur le terrain et à la table des négociations. Je le félicite chaleureusement pour ce succès », a déclaré sur Twitter, ce mardi 10 novembre, le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Çavusoglu.
Si la Turquie a marqué un nouveau point (après ses interventions en Syrie et en Libye) en aidant ouvertement un allié musulman, la Russie reste la puissance régionale dans le Caucase du Sud. À son habitude, Poutine adopte un froid réalisme pour ne rompre avec aucune des deux ex-républiques soviétiques. Allié militaire de l’Arménie, il veut garder de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan pour que le pays ne tombe pas dans le giron turc, avec un effet domino sur les autres nations ou populations musulmanes de l’ancien empire russe (l’islam est la deuxième religion au sein de la Fédération de Russie). Il a sifflé la fin de la partie après avoir constaté que l’Azerbaïdjan était proche de la victoire totale après la chute de Chouchi, ville stratégique à 15 kilomètres de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh, située sur l’artère vitale la reliant à l’Arménie. Quant à la France et aux Etats-Unis, qui co-président avec la Russie le « groupe de Minsk » constitué depuis plus de vingt-cinq ans par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour mettre un terme au conflit, ils seront restés aux abonnés absents au cours de cet épisode crucial.