Sport

Paris sportifs et mafia, le mariage parfait

Par Martin Dousse. Synthèse n°2591, Publiée le 05/11/2025 - Photo : Un supporter turc avant le début du match de qualification pour la Coupe du monde 2010 entre la Turquie et l'Espagne, au stade Ali Sami Yen d'Istanbul, le 1ᵉʳ avril 2009. Crédits : Reuters.
Vous aimez le sport en général, le football en particulier ? Vous allez être dégoûtés. Le tout récent scandale des arbitres parieurs en Turquie s'ajoute à une longue histoire de corruption. Le sport roi est gangrené. Un réseau de mafias, connectées à travers le monde, exploite ce que le jeu offre sur un plateau doré : corrompre les acteurs sur le terrain et miser sur des paris trafiqués.

« Des fois je suis un peu dégoûté de vivre dans ce monde et d'y gagner ma vie ». La phrase est signée José Mourinho. Entraîneur controversé, passé sur les bancs des plus grands transatlantiques du foot européen, il s'est créé une réputation pour ses violentes charges contre le corps arbitral. Mais derrière la caricature du pleurnicheur se cache une clairvoyance prophétique. En Espagne, l'ancien coach du Real Madrid dénonçait les faveurs répétées, selon lui accordées au Barca. Son ironie désabusée avait marqué les esprits. Quelques années plus tard était révélée la sidérante affaire Negreira (le club catalan a versé plus de 8 millions d'euros vers des sociétés appartenant au n°2 du comité technique des arbitres, voir LSDJ n°2478). En Turquie, Mourinho n'a pas non plus manqué de vilipender « l'arbitrage qui sent mauvais », lorsqu'il dirigeait le club du Fenerbahçe (Istanbul). Aujourd'hui, un immense scandale ébranle le football turc. Une enquête de la fédération a révélé que 371 arbitres sur 571 officiants dans les championnats professionnels ont un compte de paris enregistré. De quoi laisser planer l'ombre du truquage sur d'innombrables matchs. 7 arbitres de champ officient en Süperlig, le championnat de 1e division turque. L'un d'eux a même arbitré un barrage de Ligue des Champions et des matchs en Youth League.
En 2022, plusieurs arbitres avaient été évincés par la fédération, dont Cüneyt Çakir qui avait sifflé la finale de LDC, en 2015. Certains médias y ont vu une ingérence politique, dans un contexte de purge contre l'opposition au président Erdogan. Ils avaient finalement été réintégrés. Aujourd'hui, cette nouvelle affaire place le parti au pouvoir dans le viseur de ses adversaires.

Avant la Turquie, un pays était le théâtre par excellence de ce type de pratiques : l'Italie. Sans doute le pays d'Europe occidentale où le foot et la mafia sont le plus imbriqués. Il y avait eu Totonero (littéralement « loto noir »), dans les années 1980 : le Milan AC et la Lazio avaient été relégués en 2e division. Paolo Rossi avait écopé de deux ans de suspension, accusé d'avoir participé à manipuler des matchs. Plus récent (2011/2012), le scandale du Calcioscomesse. Plusieurs joueurs ont été approchés par des réseaux mafieux pour assurer des paris gagnants. L'un a admis avoir marqué volontairement contre son camp, un autre était accusé d'avoir drogué des coéquipiers pour les rendre inaptes.

Derrière ce scandale, se trouvait le nommé Dan Tan, l'homme à la tête du « syndicat du crime » à Singapour. Dan Tan faisait appel à des truqueurs d'Europe de l'Est pour approcher les joueurs. Condamné en première instance, il a été relaxé en 2015, l'État asiatique affirmant ne pas disposer de preuves suffisantes. Les intermédiaires sont souvent d'anciens footballeurs ou agents disposant de liens établis avec le milieu. « Dan Tan paie probablement les truqueurs européens environ 200 000 € par match truqué [...] Il transmet ensuite l'information à des syndicats de paris illégaux en Chine, où des dizaines de personnes, derrière leurs ordinateurs portables, vont miser – en paris live – simultanément, sur ce match précis », expliquait à l'époque un journaliste local relayé par la BBC. Comme le soulignait Rob Wainwrigt, ancien directeur d'Europol : « Un seul match truqué peut impliquer jusqu'à cinquante suspects dans dix pays de plusieurs continents. »

Tout récemment, en Angleterre, l'international brésilien et joueur de West Ham Lucas Paqueta a été sanctionné par la Fédération anglaise. Le 12 mars 2023, il était allé cherché un intriguant carton jaune. Dans le même temps, plusieurs comptes domiciliés au Brésil, détenus par des membres de sa famille, auraient reçu des fonds, après avoir parié avec succès sur l'avertissement de l'international auriverde. Inquiétant, dans la mesure où l'on peine à imaginer que Paqueta soit un cas isolé. Du moment où l'on peut miser sur des faits de matchs concernant les joueurs individuellement (cartons reçus, penaltys provoqués, but contre son camp), la boîte de Pandore semble impossible à refermer. La même année, une enquête fédérale au Brésil avait déjà révélé un vaste réseau de paris corrompus, impliquant des joueurs des meilleurs clubs nationaux. Fin 2022, l'attaquant de Brentford et de l'équipe d'Angleterre, Ivan Toney, a été suspendu 8 mois après avoir été reconnu coupable de 232 paris liés au football, dont certains concernant ses propres matchs. Il a également été condamné à suivre un programme thérapeutique.

En somme, un court regard panoramique suffit pour comprendre que le monde du ballond rond est gangrené en profondeur, sans solution crédible, tant que le système des paris sportifs sera aussi généralisé. Sa popularité presque intacte relève presque du miracle. Une indulgence qui s'explique peut-être parce que le mal de la corruption semble endémique dans le monde du sport. En France, le handball a été le plus éclaboussé. On se souvient encore de l'affaire des frères Karabatic, stars suprêmes de l'équipe de France, à l'époque où elle écrasait la concurrence. En 2012, en fin de saison avec leur club de Montpellier, certains proches avaient misé des sommes astronomiques sur leur défaite face au Cesson Rennes, qui a battu le champion de France à la surprise générale… D'autres sports ont fait l'objet d'enquêtes tout aussi préoccupantes : le basket, le tennis ou encore le cricket, très populaire en Inde, font partie des plus concernés.

À retenir
  • Un immense scandale impliquant des centaines d'arbitres parieurs ébranle le football turc.
  • Les paris sportifs truqués sont une tradition dans l'histoire du football (notamment en Italie). Ils connectent plusieurs réseaux mafieux à travers le monde.
  • Du moment où l'on peut miser sur des faits de matchs concernant les joueurs individuellement (cartons reçus, penaltys provoqués, but contre son camp), la corruption semble inévitable.
La sélection
Les Dossiers Noirs du Football Français | avec Romain Molina
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