Irak : un scrutin entre ingérences et désaveu populaire
Quelques semaines avant les élections, Mohammed Shia' Al-Sudani, le Premier ministre irakien, a inauguré à Mossoul le complexe de la mosquée Al-Nouri, le couvent Al-Saa'a et l'église Al-Tahera. Ces monuments ont été dynamités par Daesh en 2017, alors que sa fin était proche. Ces projets de restauration du patrimoine, lancés en 2018, sont un symbole fort de reconstruction de la mémoire et du tissu communautaire déchiré par les récents conflits. Ils sont le symbole d'un Irak en reconstruction. La réhabilitation de ces lieux de culte est un espoir de stabilisation, à l'aube de ces élections pour le moins cruciales.
Malgré ces projets symboliques soutenus par la communauté internationale, les élections ont confirmé la profonde fracture qui s'est installée entre la population irakienne et la classe politique au pouvoir. Depuis les grandes mobilisations d'octobre 2019 et les répressions qui en ont suivi, une partie des citoyens témoigne d'un désaveu vis-à-vis du système politique dominé par les milices et des logiques clientélistes. Une part de la population rejette non seulement cette élite politique, incapable de répondre aux attentes de justice sociale et de sécurité, mais également cette démocratie jugée de façade. Le boycott du courant sadriste, mouvement politique et social populaire dans les milieux chiites, a accentué ce désengagement, privant le scrutin d'un pan important de l'électorat. Beaucoup sont convaincus que les résultats sont finalement dictés par des négociations opaques après la fermeture des urnes. Dans les faits, faute de majorité, de complexes et très longues négociations intrapartisanes décident du sort du Premier ministre. Cette année, le succès relatif du Premier ministre sortant (46 sièges sur 329) reflète finalement une continuité plus qu'une transformation majeure, et souligne une certaine confiance accordée à sa gestion pragmatique des déséquilibres internes. En attendant que la coalition trouve un successeur à Al-Soudani, le gouvernement sortant continue de gérer les affaires courantes. Les tractations ont également pour vocation de trouver un accord de répartition des postes clefs entre chiites, sunnites et kurdes. Conformément aux usages, le président est kurde, le Premier ministre chiite et le président du Parlement sunnite.
À cette instabilité interne et à ces tensions communautaires latentes s'ajoutent des interférences étrangères. Depuis la fin de Daesh, les intérêts américains et iraniens se font face dans le pays. L'Iran s'est imposé comme l'un des acteurs incontournables de la vie politique irakienne, et les élections de 2025 n'y font pas exception. Même affaiblie, son influence demeure profonde. Téhéran continue d'entretenir des liens étroits avec plusieurs partis chiites, notamment certaines milices des factions du Hashd al-Chaabi, une coalition de milices chiites créées pour combattre l'État islamique, mais aujourd'hui intégrée en partie aux forces de sécurité irakienne. Sa présence dépasse donc le seul cadre électoral et touche aux pans économiques, sécuritaires et religieux du système irakien. Bloquant, de facto, l'espoir d'une totale indépendance vis-à-vis du régime des mollahs.
L'Irak fait également face à une série de défis internes qui compliquent toute perspective de stabilité durable. Chômage persistant, stress hydrique et corruption endémique constituent des obstacles à la stabilité du pays. De même, la dualité du pouvoir avec les milices armées fragilise l'autorité finale gouvernementale et entrave toute tentative de réformes. Les divisions territoriales et communautaires continuent finalement d'alimenter des tensions profondes.
Quelle est la place des chrétiens dans ce chaos ?
Cette fragilisation de l'État et la multiplication des forces parallèles affectent directement la cohésion sociale et la sécurité des populations les plus vulnérables, en particulier les chrétiens. Ils étaient près de trois millions avant l'invasion américaine de 2003, et ne sont plus qu'environ 300 000 aujourd'hui, la majorité d'entre eux ayant fui du fait de l'insécurité. Jadis intégrés au tissu social de la ville, ils ont progressivement quitté les quartiers centraux pour s'installer dans des zones périphériques jugées plus protectrices. Ce repli traduit les stratégies de survie adoptées par les minorités persécutées, qui tentent de préserver leur présence sur une terre marquée par l'instabilité et la violence.
Bien que les Jesuit Refugee Services aient dû fermer leurs portes en raison de l'arrêt brutal des aides américaines, plusieurs associations poursuivent, avec persévérance malgré les difficultés, leur action en soutien aux minorités religieuses en Irak : à l'image du Programme de relance économique développé par l'association française, Fraternité en Irak, qui accompagne des entrepreneurs locaux issus des différentes minorités ethniques et religieuses à développer des projets, à regagner espoir dans la construction d'une vie digne dans leur pays.
- Les élections législatives ont eu lieu en Irak en novembre dernier, sans accoucher d'aucune majorité absolue.
- Les tractations sont en cours, mais - selon la règle officieuse - le président est kurde, le Premier ministre chiite et le président du Parlement sunnite.
- De nombreux Irakiens ont refusé de voter. Ils pensent que l'Irak est une démocratie de façade et sont convaincus que les résultats sont dictés par des négociations opaques après la fermeture des urnes.
- Les chrétiens sont de plus en plus invisibilisés. Ils étaient près de trois millions avant l'invasion américaine de 2003 et ne sont plus qu'environ 300 000 aujourd'hui, la majorité d'entre eux ayant fui du fait de l'insécurité.