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La frontière entre le Cambodge et la Thaïlande s'embrase autour d'un temple khmer

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°2625, Publiée le 15/12/2025 - Photo : Le temple de Preah Vihear, emblème de la dispute territoriale entre le Cambodge et la Thaïlande. Officiellement cambodgien, il n'est accessible qu'en passant par la Thaïlande. Crédits : Shutterstock.
De graves incidents militaires ont lieu depuis quelques jours à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge. Le tracé de la frontière est disputé depuis plus d'un siècle, et l'envenimement du conflit souligne la fin de l'ordre mondial hérité de la 2e Guerre mondiale. Derrière le retour du nationalisme se cachent des appétits politiques internes. Washington et Pékin tentent de calmer le jeu.

Gelée par la guerre froide pendant des décennies, la longue frontière (800 km) entre le Cambodge et la Thaïlande est depuis des années une zone sous forte tension, et tout particulièrement le « triangle émeraude » qui touche aussi le Laos. C'est en mai dernier que la situation a dégénéré après un échange de tirs qui a tué un soldat cambodgien. Des premiers bombardements avaient fait 43 morts et déplacé près de 300 000 personnes dans une région pauvre. Un cessez-le-feu a été négocié fin juillet sous l'égide des États-Unis, de la Chine et de la Malaisie (alors présidente de l'ASEAN), avant d'être signé le 26 octobre. Pour être rompu quelques semaines plus tard, suite à l'explosion d'une mine ayant blessé plusieurs soldats thaïlandais... L'armée thaïlandaise a dénoncé l'arrivée de batteries d'artillerie et de troupes cambodgiennes tout près de la zone contestée, et lancé des raids aériens « préventifs » auxquels ont répondu des barrages de roquettes cambodgiens. On atteindrait les 800 000 civils déplacés et au moins 26 morts. Les appels à la retenue depuis le 11 décembre, venant en particulier de Donald Trump, ont été rejetés par les autorités thaïlandaises qui entendent « mettre l'armée cambodgienne hors d'état de nuire », pointant du doigt la Chine qui fournit Phnom Penh en armes depuis près de 15 ans. La coopération militaire entre les deux pays s'est intensifiée depuis 2016, avec un effort de modernisation de l'armement et le développement de la base navale de Ream ouverte aux navires chinois. Le Cambodge se pose en victime d'une agression thaïlandaise, qui aurait touché des lieux saints bouddhistes et des civils.

Ce conflit est d'autant plus difficile à désamorcer qu'il se nourrit de situations politiques nationales, de circonstances géostratégiques complexes, et d'une rivalité très ancienne entre deux peuples qui prétendent à l'héritage de l'antique empire khmer. Le tracé de la frontière est contesté en plusieurs endroits, le plus emblématique étant le temple de Preah Vihear datant du XIe siècle... La dispute autour de cette ruine magnifique trônant sur une falaise date de l'époque coloniale française. Une carte dressée par les Français en 1907 – dans le cadre d'un traité franco-siamois – met le temple du côté de leur protectorat cambodgien. Une décision contestée par Bangkok, pour qui la frontière devait suivre un tracé plus conforme à la ligne de partage des eaux, dans une région de collines couvertes de jungle. Ce n'est qu'en 1962 que la Cour Internationale de Justice (CIJ) a confirmé l'inclusion du temple dans le territoire cambodgien - temple qui n'est accessible en véhicule que depuis la Thaïlande ! L'inscription du site auprès de l'UNESCO en 2008 a fait ressurgir la dispute entre les deux pays, et la CIJ a dû réaffirmer en 2013 sa position de 1962...

L'embrasement auquel on assiste est lié à une situation politique complexe entre les puissants de part et d'autre. Hun Sen a été le Premier ministre cambodgien de 1985 à 2023, et son fils Hun Manet lui a succédé depuis. C'est donc un clan qui cherche à asseoir son pouvoir par le biais d'un parti hégémonique (pour ne pas dire unique), dans un pays gangréné par la corruption. Le Cambodge est devenu un centre international pour les escroqueries en lignes, en abritant de grands centres d'appels dédiés à des activités illégales, avec la complicité de groupes mafieux chinois. Les sommes générées sont telles que Washington a accentué la pression sur Pékin et sur la Thaïlande, soupçonnée de ne pas suffisamment contrôler les activités mafieuses à sa frontière. Or, la Première ministre thaïlandaise en poste depuis 2024 faisait partie de la dynastie Shinawatra. Son propre père, Thaksin, Premier ministre de 2001 à 2006, était en opposition avec les royalistes et les militaires et il entretenait de bonnes relations avec Hun Sen. Se sentant trahi après le raid aérien thaïlandais en mai 2025, Hun Sen a révélé le contenu d'une conversation téléphonique avec la Première ministre thaïlandaise, qui l'appelait « mon oncle » et rejetait la responsabilité de la crise sur les militaires de son pays. Paetongtarn Shinawatra a été destituée en juillet, et la ferveur nationaliste laisse la main libre à l'armée thaïlandaise face au manque de stabilité gouvernementale alors que des élections sont prévues au printemps 2026. À Phnom Penh, le clan Hun use de la fibre patriotique pour asseoir le pouvoir de Hun Manet. De nombreux Khmers vivent sur les territoires vietnamien et thaïlandais : le Cambodge a des prétentions territoriales chez ses voisins.

Le risque d'une déflagration générale reste faible – sinon nul. La Thaïlande a déjà fort à faire sur sa frontière occidentale face au Myanmar en guerre civile, et au sud en proie à une rébellion islamiste. Le Cambodge n'a pas les moyens militaires de gagner et le parrain chinois n'a aucun intérêt à une déstabilisation régionale, de crainte de voir les Thaïlandais et les Vietnamiens se rapprocher encore plus de Washington. À l'image des Balkans ou de l'Europe de l'Est, l'Asie du Sud-Est voit le retour de vieilles rivalités dans un contexte mondial chaotique.

À retenir
  • Les tensions s'aggravent entre Cambodgiens et Thaïlandais autour de disputes frontalières.
La sélection
Thailand confirms first civilian killed in week of Cambodia fighting
The Straights Times
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