Écologie

Des ours dans le vestibule : le retour de la nature sauvage en Italie

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 16/03/2024 - Illustration : Shutterstock

Pour la première fois depuis la chute de l'Empire romain, les bêtes sauvages reviennent en Italie… C'est un défi aux conséquences multiples pour ce pays urbanisé dès l'Antiquité. Le débat politique y est vif depuis un drame survenu le 5 avril 2023 : un randonneur a été tué par un ours dans les Dolomites. On n'a pas trace d'une telle attaque contre l'homme depuis des temps très anciens… Et il faut craindre qu'elle ne soit pas la dernière car l'Italie se « réensauvage » à grande vitesse. Cette reconquête de la nature sauvage est en partie voulue par des programmes ambitieux qui organisent la réintroduction de grands prédateurs. Elle est aussi subie à cause de la désertification rurale qui s'accélère depuis 50 ans. Des paysans quittent les campagnes, laissant le champ libre aux animaux sauvages quand des citadins font venir des ours de Slovénie. C'est cette conjonction qui pose des problèmes de sécurité et, plus largement, devrait nous interroger sur l'évolution des sociétés modernes selon John Last pour The New Atlantis (voir l'article en lien). Les Italiens se retrouvent face au défi de vivre à côté d'une vie sauvage qu'ils ont largement oubliée.

Les ours bruns avaient quasiment disparu des régions alpines. Depuis près de 20 ans, le programme Life Ursus (financé par l'U.E.) a fait venir des plantigrades de la Slovénie voisine. On décompte plus d'une centaine d'ours dans le nord de l'Italie aujourd'hui : un succès pour les écologistes. Même avant le drame d'avril 2023, la controverse était vive depuis 2015 à cause d'attaques de plus en plus fréquentes sur les troupeaux. Or, la femelle qui a tué le malheureux randonneur – alors qu'elle n'avait pas de petits à protéger – avait déjà manifesté des « comportements problématiques ». La mère de la victime a réclamé justice et le Président régional du Trentin-Haut-Adige a ordonné la capture et l'euthanasie de l'ourse. Des mouvements écologistes radicaux se sont insurgés allant jusqu'à traiter la plaignante de meurtrière… qui a reçu des menaces de mort. C'est remonté jusqu'au Conseil d'État qui a finalement jugé que condamner à mort le prédateur serait « disproportionné par rapport à la faute commise ». « La vie d'un ours pèse plus que celle de mon fils ? » s'est écrié la mère éplorée…

L'abandon des zones rurales accélère la tendance : les sangliers, loups et ours profitent de la forêt qui avance pour se rapprocher des hommes. Or, ces Italiens ont largement oublié comment vivre au contact des bêtes. L'héritage remonte loin : leurs ancêtres romains associaient barbarie et nature sauvage. Les sangliers n'ont plus à craindre des chasseurs qui se font rares : ils ont envahi la Ligurie et seraient 2,3 millions à piétiner les champs et endommager les haies dans tout le pays. Les zones boisées ne sont plus entretenues : les sangliers trouvent de la nourriture partout et se reproduisent très vite. C'est un cercle vicieux : les quelques agriculteurs restants partent en nombre, écœurés par les dégâts causés… Il y a 50 ans, on ne décomptait que quelques centaines de loups en Italie. Ils seraient 4 000 aujourd'hui – un record depuis 500 ans ! Les éleveurs s'insurgent contre cette menace bien connue de leur prédécesseurs. Ils sont moins nombreux à conduire leurs troupeaux et donc plus vulnérables puisqu'isolés. Les loups sont des opportunistes : on estime que les moutons constituent 50 % de leur régime alimentaire. Ils prolifèrent parce qu'ils ont un accès bien plus facile à la nourriture qu'auparavant. L'abandon des cultures en montagne leur permet d'accroître leur territoire.

La coexistence reste possible… C'est ce que prouvent les habitants de communes rurales dans la région centrale des Apennins. Là, quelques douzaines d'ours bruns vivent à proximité de villages depuis des siècles. On trouve des traces écrites de cette cohabitation depuis le XVe siècle. Les animaux sauvages ont d'ailleurs trouvé un avocat fameux en la personne de saint François d'Assise au cœur du Moyen-Âge. Ses prédications cherchaient à rapprocher ses contemporains de la nature sauvage, souvent crainte comme l'antichambre de l'enfer. La mort par accident en janvier 2023 de Juan Carrito, un ours de 3 ans, a suscité une grande émotion dans le village des Apennins qu'il avait l'habitude de visiter pour réclamer des biscuits. Les habitants tolèrent cette proximité mais punissent dès qu'un comportement agressif est constaté : un individu peut être tué par un berger. On constate alors que les plantigrades se retirent quelques temps avant de revenir timidement.

Cette coexistence est rendue possible par des siècles d'habitude pour les ours comme pour les hommes qui n'ont pas quitté leurs terres montagneuses. Vouloir réintroduire des bêtes sauvages dans des espaces désertés par les hommes est naïvement dangereux. Ce débat politique nous renvoie à une question existentielle sur la place de l'homme dans la nature mais aussi sur l'acceptation de nos propres faiblesses. C'est ce que les Romains antiques et médiévaux connaissaient mais que les modernes ne veulent pas voir : la bête sauvage nous rappelle nos propres limites.

La sélection
Bears in the villa
Lire l'essai sur : The New Atlantis
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1 commentaire
Le 18/03/2024 à 03:03
Je découvre "la sélection du jour" que seulement maintenant ce soir et je trouve cela très bien !!
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