Sport

L'affaire Negreira ravive la guerre de l'arbitrage au sein du football espagnol

Par Martin Dousse. Synthèse n°2478, Publiée le 16/05/2025 - Photo : L'ancien vice-président de l'arbitrage espagnol, José María Enríquez Negreira, à sa sortie du tribunal, après son audition dans l'affaire de corruption impliquant le FC Barcelone, le 19 mars 2024 à Barcelone. Crédits : Pau Barrena / AFP
Le FC Barcelone vient de remporter hier soir son 28ème championnat d'Espagne. Mais ce succès est éclipsé par le plus grand scandale de corruption de l'histoire du sport espagnol, révélé en 2023. Le club a versé pendant 17 ans près de 8,4 millions d'euros à José María Enríquez Negreira, vice-président du comité technique des arbitres. Le but affiché : obtenir la neutralité du corps arbitral. En toile de fond se trouve la rivalité avec le Real Madrid, longtemps favorisé sans avoir eu besoin de payer.

La féroce concurrence entre les navires amiraux du ballon rond ibérique a pris, depuis deux ans, une nouvelle tournure. Déjà la cible des coups de pression médiatiques de Real Madrid TV, l'arbitrage cristallise toutes les tensions. Florentino Pérez, le président de la « Maison-Blanche », se plaindrait régulièrement du traitement infligé à son club, au point d'avoir milité en privé pour faire venir des arbitres anglais en Espagne.

Cette inquiétude repose sur un coup de tonnerre judiciaire qui a éclaté le 15 février 2023. On apprend que M. Negreira, numéro 2 du comité technique des arbitres (CTA), a été rémunéré par le FC Barcelone. À mesure que l'enquête avance, les faits accablants tombent. Les paiements ont commencé en 2001 jusqu'à la fin effective de son mandat en 2018, pour une somme proche des 8 millions et demi d'euros. Une enquête est ouverte et le Real Madrid se constitue partie civile. Désormais, le « Clásico » se joue devant les tribunaux.

Dans les faits, Negreira statuait sur la notation ainsi que sur les promotions et relégations des arbitres. Le Barça a payé plusieurs sociétés appartenant au mandataire afin d'obtenir une série de rapports sur l'arbitrage. C'est une affaire de famille : son fils, Javier, travaillait pour l'une des entreprises de son père. Il a reconnu qu'il accompagnait les arbitres « à l'aéroport, aux hôtels et au Camp Nou » (le stade du Barça)… Et la police a retrouvé 3 millions d'euros sur le compte bancaire de sa femme. Pas de quoi désarçonner le patriarche qui affirme aux journalistes : « Ma mission était de donner mon avis sur les matchs en ce qui concerne l'arbitrage et les joueurs. Un conseil technique. Ce que le FC Barcelone voulait, c'était s'assurer qu'aucune décision ne soit prise contre le club, que tout reste neutre ». Cité à comparaître devant le juge, il explique souffrir de symptômes de démence. Quand un examen médical le considère apte à déclarer, il se présente au tribunal mais fait valoir son droit au silence...

Joan Laporta, actuel président du club catalan, a voulu prouver que les paiements ont seulement servi à accumuler des conseils à titre informatif. Il est comparu devant les médias en avril 2023, muni de quatre énormes dossiers rouges, censés contenir 629 rapports écrits et 43 Cds de « conseils techniques ». L'un d'eux a été exhibé au grand jour par la presse. Assez court (2 ou 3 pages), il est émaillé de fautes. Et de plusieurs réflexions plates sur les arbitres : « il n'hésitera pas à sanctionner ou expulser les joueurs qui le mériteraient », (au sujet d'Iglesias Villanueva). Ernesto Valverde, dernier entraîneur du Barça à avoir officié sous l'ère Negreira, assure ne jamais avoir eu un seul rapport entre les mains. Le juge Aguirre, initialement chargé de l'affaire, a pointé une « corruption systémique ». Âgé, le magistrat a du prendre sa retraite. L'enquête est désormais en suspens, dans l'attente d'être reprise par un nouveau titulaire du poste.

Mais pourquoi avoir payé pour la neutralité des arbitres ? Et bien parce que pendant 60 ans, le CTA fut dirigé par des ex-joueurs ou dirigeants du Real Madrid. Et que pour attirer les bons coups de sifflet, le club s'empressait d'offrir des petits présents aux officiels ou des bouquets de fleurs destinés à leurs femmes (mais surtout pas avant les matchs…).

Le Barça n'a pas oublié cette époque où gagner un titre était plus qu'un exploit. Cela fut particulièrement vrai sous le mandat de José Plaza, qui pendant 18 ans, entre 1967 et 1990, présida le Comité technique des arbitres. Les officiels craignaient déplaire à ce supérieur, réputé fervent supporter de « los blancos ». L'un d'eux témoigne ne plus avoir foulé le gazon du Bernabéu pendant 5 ans, après avoir arbitré une victoire des barcelonais chez leur éternel rival. Un autre, l'ex-arbitre Antonio Camacho, aurait même déclaré que le Barça ne serait jamais champion d'Espagne tant que José Plaza serait président. Sur cette période, les catalans ont finalement gagné une seule Liga (le championnat de première division) pour 11 du Real Madrid. Entre les débuts de la Liga lors de la saison 1928-1929 et la fin du mandat Plaza, le club de la capitale a remporté 25 championnats, quand le FC Barcelone n'en a remportés que 10.

Depuis le début des années 1990 et la fin de cette domination institutionnelle, la tendance s'est inversée : 18 Ligas pour le FC Barcelone et 11 pour le Real Madrid. 9 contre 6 sous l'ère Negreira. S'il s'agit aussi de la période ou le club bleu et grenat a disposé de sa meilleure génération de footballeurs, le bilan des décisions arbitrales lui a été très favorable, étant devenue l'équipe avec le plus de penaltys obtenus, le moins de penaltys concédés, le moins de cartons rouges reçus et le plus de joueurs rivaux expulsés. Intolérable pour le Real Madrid, habitué à occuper la tête de ces classements.

Que les supporters madrilènes se rassurent. Depuis le départ de Negreira, la courbe a repris sa dynamique traditionnelle. Jusqu'à ce jour, le Real Madrid reste le club le mieux loti par l'arbitrage de toute l'histoire de la Liga : avec un bilan positif – actualisé à ce jour – de 272 penaltys (penaltys obtenus moins penaltys concédés) et le chiffre le plus bas de cartons rouges reçus (253). Le Barça compte un bilan positif de 171 penaltys et a reçu 266 cartons rouges.

La sélection
Dos años del caso Negreira... y aún sin juicio
Lire l'article sur le site de Marca.
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Valider
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne