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L'UE et l'Égypte signent un « partenariat global et stratégique » ayant un volet migratoire

Par Philippe Oswald - Publié le 27/03/2024 - Photo : Un bateau de pêche tunisien débarque des migrants sur l'île italienne de Lampedusa. (crédits Shutterstock)

La crise migratoire rendrait-elle l'Union Européenne (UE) conciliante envers certains régimes autoritaires ? En 2016, sous la pression de la chancelière allemande Angela Merkel, qui faisait face à une vague migratoire incontrôlée, l'UE avait passé avec la Turquie d'Erdogan un accord onéreux et périlleux pour juguler l'afflux de migrants en Europe. En 2017, l'Italie, avec l'accord de l'UE, a confié à la Libye le soin de retenir sur son sol les migrants. Elle s'est engagée alors à former et équiper les garde-côtes libyens, alors que le pays était déjà déchiré par une guerre civile. La guerre se poursuit d'ailleurs encore (TV5 Monde, 5/2/2024), situation propice à toutes les maltraitances. En juillet 2023, l'UE a signé un « partenariat global » avec la Tunisie de Kaïs Saïed (« seul en scène pour sa réélection » titre Le Monde, 12/3/2024) et le 7 mars 2024, un accord semblable avec la Mauritanie du général El Ghazouani (dont le prédécesseur est en prison pour « enrichissement illicite », Jeune Afrique, 4/12/2023).

Le 17 mars dernier, c'est avec l'Égypte du maréchal al-Sissi (réélu en décembre dernier avec 89,6 % des voix) que la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Layen, a conclu un « partenariat global et stratégique ». D'une valeur de 7,4 milliards d'euros dont 200 millions de dons pour lutter contre l'immigration, l'accord a été signé en présence de cinq autres dirigeants européens : l'Italienne Giorgia Meloni, le Grec Kyriakos Mitsotakis, l'Autrichien Karl Nehammer, le Chypriote Nikos Christodoulides et le Belge Alexander De Croo (dont le pays exerce actuellement la présidence tournante du Conseil de l'UE). L'accord comporte un volet migratoire qui délègue aux Égyptiens la mission d'empêcher les départs de migrants vers l'Europe, tout en acceptant le retour de leurs ressortissants en situation irrégulière dans les pays membres de l'UE. Or, l'Égypte est le 136e pays sur 142 au classement mondial de l'état de droit du World Justice Project… Qui plus est, comme le commente Vincent Hervouët sur Europe 1 (18 mars) : « l'Europe recommande aux garde-côtes égyptiens auxquels elle va fournir des bateaux "une approche basée sur les droits, orientée vers la protection et sensible au genre" ! Du haut des pyramides, 5 000 ans contemplent notre hypocrisie », conclut l'éditorialiste. De fait, comme le relève L'Orient/Le Jour (16 mars ), « cette stratégie est critiquée par les défenseurs des droits humains. » Mais, ajoute le quotidien libanais, « les dirigeants européens sont soucieux d'afficher leur fermeté sur l'immigration irrégulière, à trois mois des élections au Parlement où les sondages prédisent une poussée de l'extrême droite  ».

Déjà en proie à une croissance démographique galopante, l'Égypte, frontalière de deux théâtres de guerre, la bande de Gaza et le Soudan, a vu affluer sur son territoire quelques 9 millions de migrants et réfugiés selon l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). La pression migratoire qu'elle subit est une épée de Damoclès sur l'Europe. Vu du côté égyptien, l'accord signé donne un peu d'oxygène à un pays financièrement aux abois puisque l'inflation pourrait y atteindre 45 % à la fin de cette année. Après le Covid et la guerre en Ukraine, le conflit entre le Hamas et Israël a fait chuter les revenus que l'Égypte tirait du transit de cargos dans le canal de Suez, fortement perturbé par les attaques houthistes en mer Rouge. Face à l'urgence, les Émirats arabes unis et le Fonds Monétaire International ont débloqué respectivement 35 milliards et 8 milliards de dollars. Vont donc s'y ajouter les 7,4 milliards d'euros de financements européens d'ici à fin 2027. Un premier milliard sera versé dès cette année. L'UE enverra aussi 1,8 milliard d'euros pour financer des investissements dans la transition verte et numérique et dans l'énergie, un domaine crucial pour l'UE qui veut s'affranchir du gaz russe.

On peut fustiger l'hypocrisie des dirigeants européens qui se drapent dans le respect des « valeurs » humanitaires pour mal défendre les frontières de l'UE mais paient des dictatures pour retenir les migrants dans des conditions qui n'ont rien d'humanitaire. On peut néanmoins se demander si ces accords, dont l'Italienne Giorgia Meloni est devenue le principal promoteur, ne commencent pas à porter des fruits : « Durant les deux premiers mois de l'année 2024, le nombre d'arrivées [de migrants] par la route dite “de la Méditerranée centrale” a chuté de 70 % par rapport à la même période en 2023. La conséquence des politiques du gouvernement de droite italien ? La presse transalpine s'interroge » nous rapporte le Courrier International (en lien ci-dessous).Tout en limitant les vagues migratoires, l'application de tels accords sauve des vies : près de 2 500 personnes ont péri l'an dernier en tentant la traversée en Méditerranée centrale.

La sélection
L’Italie de Meloni a-t-elle réussi à freiner l’arrivée de migrants par la Méditerranée centrale ?
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