Culture

« Les Survivantes », le témoignage choc des victimes de réseaux pédo-satanistes

Par Stanislas Gabaret. Synthèse n°2325, Publiée le 20/11/2024 - Photo : L'affiche du dernier film de Pierre Barnérias
Elles sont huit. Huit femmes victimes de réseaux satanistes et pédocriminels, qui ont choisi de prendre la parole dans le documentaire de Pierre Barnérias : « Les Survivantes ». La réalité qu'elles décrivent inclut des violences pires que les actes pédophiles. Une horreur telle qu'elle provoque souvent l'incrédulité. Pourtant, les témoignages sont là, avides d'ouvrir les yeux du grand public à un drame longtemps occulté et plus répandu qu'on ne le croit.

« Quand on a vécu cela, on ne cherche pas d'abord une psychothérapie, on essaye déjà de ne pas se tuer, on essaye de rester en vie ; et je parle de seconde par seconde. » C'est avec ces mots qu'Hélène Pelosse, l'une des femmes du film accompagnée du réalisateur Pierre Barnérias, répond à André Bercoff dans une interview accordée à Sud Radio. Il faut dire que les témoignages font part d'une barbarie sans limites : rituels sataniques, viols, décapitations, enfants forcés à tuer d'autres enfants…

Pour le réalisateur, l'idée de donner la parole aux victimes de réseaux pédocriminels a émergé dès l'année 2000, après le visionnage d'un documentaire de Pascale Justice qui abordait déjà le sujet. Barnérias attendait alors que le problème fasse l'objet d'un traitement médiatique soutenu, mais il a constaté l'inverse malgré la gravité des affaires : « Le titre du film était Viol d'enfants, la fin du silence. Depuis, il y a eu 24 ans de silence. […] Si je travaille pour le cinéma depuis dix ans, c'est parce que je sais qu'il y a des sujets qui ne passent plus à la télévision. » Dans les années 2010, il s'est donc lancé dans une enquête en compagnie de la journaliste d'investigation Laurence Beneux, co-auteur en 2001 du Livre de la honte : les réseaux pédophiles. Ensemble, ils ont commencé à recueillir des témoignages. Ceux-ci sont nombreux, jusqu'à une centaine pendant une période de 12-13 ans. « Sur les cent, on a choisi huit témoignages, parce qu'on les avait trouvés exceptionnels et que moi je voulais leur rendre hommage pour leur courage, à travers un film qui marque. »

Un rapport de la CIIVISE (Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants), datant de 2023, avance le chiffre de 160 000 enfants victimes chaque année de violences sexuelles en France. Celles-ci commencent très tôt : à un âge moyen de huit ans et demi. Parmi les victimes, 38 % ont subi un ou plusieurs viols. Les abus ont lieu le plus souvent au sein de la famille (dans 81 % des cas). Quant à l'association Droit d'Enfance , elle affirme qu'il y a chaque jour plus de 110 signalements concernant des disparitions d'enfants dans l'Hexagone.

Ces données sont d'autant plus inquiétantes que Les Survivantes révèle l'existence de véritables réseaux organisés, composés d'individus parfois très puissants socialement, qui agissent impunément. « Au-delà de la pédophilie, il y a les réseaux ; au-delà des réseaux, il y a des sévices rituels ; et au-delà des sévices rituels, il y a des gens qui sont des psychopathes […], qui ont les moyens d'acheter leur impunité et le silence », explique Pierre Barnérias. Ce n'est pas la première fois que des scandales de ce genre sont associés à des personnalités riches ou célèbres. Récemment, l'affaire Epstein avait déjà fait connaître quelques noms liés de près ou de loin au milliardaire condamné pour trafic sexuel. On pouvait y découvrir parmi d'autres ceux du Prince Andrew, membre de la famille royale britannique, de Bill Clinton, ancien président démocrate des États-Unis, ou encore de Bill Gates, le très fortuné fondateur de Microsoft. D'autres faits avérés comme l'affaire Dutroux en Belgique ou celle de Jimmy Savile en Angleterre invitent à prendre très au sérieux les témoignages du documentaire.

Selon Hélène Pelosse, l'amnésie post-traumatique est une constante chez les survivants adultes. Quand les événements reviennent en mémoire, il s'agit d'une véritable descente aux enfers. Pour elle, les souvenirs sont arrivés à l'âge de 42 ans : « Je ne me suis pas souvenue avec ma tête, mon corps s'est mis à se souvenir. […] J'avais un grand-père maternel qui était franc-maçon satanique, pédiatre, major de l'internat sur la ville de Lyon ; qui est tombé là-dedans. […] Quand vous commencez à faire cela, le principe, c'est que vous devez sacrifier votre propre famille. Il a commencé à faire des choses avec ma mère qui ne s'est jamais souvenue de rien, et ensuite avec ses petits enfants, donc on est plusieurs à avoir été torturés. Plusieurs de mes cousins et cousines ont fait des séjours en hôpital psychiatrique. Personne ne se souvient de ça. […] En fait, quand vous vous en souvenez, c'est des billets pour l'enfer. Il n'y a pas d'autres mots. »

Le chemin de guérison est tortueux. Hélène Pelosse parle de l'existence d'un centre spécialisé dans l'aide aux victimes d'abus sexuels ritualisés à Stuttgart en Allemagne, mais pas de structures en France. Elle déplore par ailleurs le manque de formation des psychothérapeutes français en la matière. Le dispositif judiciaire lui semble aussi trop faible : beaucoup de victimes osant briser leur long silence viennent se heurter contre le mur de la prescription.

Malgré tout, dans la lignée du film américain Sound of Freedom, Les Survivantes veut amorcer un réveil chez le grand public, afin de sortir du déni. Pour Pierre Barnérias, c'est la seule façon de mettre en place des lois qui luttent plus efficacement contre un drame trop souvent ignoré. C'est aussi le meilleur moyen de protéger ces survivants et survivantes : leurs souffrances doivent être entendues et leur combat ne doit plus être isolé.

La sélection
« Les Survivantes », le film qui donne la parole aux victimes de la pédocriminalité
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1 commentaire
François
Le 21/11/2024 à 15:01
Un grand merci pour cet article. un élément majeur semble corroborer le témoignage des victimes de ces exactions : la convergence de leur témoignage en dépit du fait que toutes ces personnes n'ont aucun lien entre elles. Cette convergence concerne la nature des faits relatés, mais elle va parfois jusqu'à la mention de lieux et de personnes identiques par des victimes ne se connaissant pas mutuellement.
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