Écologie

Salon du Bourget : commande record d'Airbus et défi du carburant synthétique

Par Louis Daufresne - Publié le 23/06/2023 - Crédits photos : Unsplash

La modernité, c'est la mobilité, et ce dogme interdit de sauver la planète puisque bouger, c'est polluer, en particulier prendre l'avion. Nos sociétés sont ainsi touchées par une injonction contradictoire : être moderne et créer l'apocalypse climatique ou ne plus l'être et espérer le retarder. Ce cas de conscience affecte les sociétés occidentales, et non les pays émergents, jeunes et prédateurs – dont dépendent nos emplois et notre train de vie. Notre raison accepte ainsi ce que notre cœur réprouve.

Le transport aérien reflète cette distorsion. Lundi, dès l'ouverture de la 54e édition du salon aéronautique du Bourget, Airbus faisait la commande du siècle, la plus grosse jamais conclue dans l'aviation civile, avec 500 avions de la famille A320neo acquis par la compagnie indienne IndiGo. La transaction est estimée à 55 milliards de dollars. Les appareils seront livrés entre 2030 et 2035, aussi bien des A320neo que des A321neo, d'une capacité en sièges plus importante. L'Inde, première puissance démographique mondiale, se prépare à une explosion des voyages aériens dans son propre pays.

Comment concilier le contrat commercial noué par le marché et le contrat moral voulu par la société ? Le choix est vite fait entre les deux, si l'on en juge par les propos d'Emmanuel Macron. Au Bourget, le chef de l'État a promu la  « sobriété » écologique  « non punitive »  et jugé qu'il n'est  « pas raisonnable »  de  « renoncer à la croissance ».

Mais est-ce raisonnable de continuer comme avant et même en pire ? Guillaume Faury, patron d'Airbus et du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, organisateur du Bourget), se réjouit du  « retour du bon vieux temps de l'excitation du salon ». Pour les affaires, il y a de quoi s'enthousiasmer puisque le trafic aérien mondial, en passe de retrouver son niveau d'avant-Covid, devrait doubler d'ici 25 ans !

En revanche, pour 14 ONG réunies sous la bannière « Stay Grounded » ( « restez au sol » mais aussi « soyez réalistes »), le salon du Bourget illustre « un déni climatique ». Ce secteur représente déjà près de 3 % des émissions de CO2 sur la planète. Que faire si le trafic explose ? En attendant l'avion à hydrogène, loin d'être au point, l'aérien mise sur le carburant de synthèse. Du moins dans les airs et dans les mots.

Emmanuel Macron est ainsi arrivé au Bourget à bord d'un H160, dernier-né de la gamme d'Airbus Helicopters, appareil avitaillé à 30 % en carburant d'aviation durable (CDA) d'origine non fossile (en anglais : SAF pour « sustainable aviation fuel »). Le CDA est issu de la biomasse, c'est-à-dire de ressources renouvelables comme les huiles végétales ou les produits agricoles riches en glucose. Avantage : on peut l'utiliser dans les avions existants. Inconvénient : il émet la même quantité de CO2 que le kérosène, la décarbonation provenant seulement du processus de fabrication.

L'e-fuel est d'autant moins la panacée que sur les 450 milliards de litres de carburant nécessaires chaque année, le synthétique n'atteignait que 300 millions de litres l'an dernier. L'Association internationale du transport aérien (Iata) espère en produire 30 milliards de litres en 2030, soit 6,6 %...

Cet objectif est déjà très ambitieux, pour plusieurs raisons. D'abord, la biomasse est convoitée par beaucoup d'autres secteurs, notamment le transport routier. La forte tension sur sa disponibilité hypothèque un développement rapide du CDA. Ensuite, il faudra d'immenses sources d'électricité  « bas carbone et sécurisées sur le long terme », indique à l'AFP Benoît Decourt, fondateur de la start-up Elyse Energy. Ce qui renchérit le carburant synthétique :  « Nous sommes sur des multiples supérieurs à deux et inférieurs à 10 par rapport au kérosène », ajoute-t-il. Reste à savoir comment, et par qui sera pris en charge ce surcoût, entre les compagnies aériennes, les passagers ou les subventions publiques.

Comme l'e-fuel n'est pas près de rendre tous les vols écoresponsables, la pression sociétale ne faiblit pas et dénonce même une forme de récupération commerciale de l'écologie : vingt-deux associations européennes, dont UFC-Que Choisir et la CLCV pour la France, ont porté plainte hier auprès de la Commission de Bruxelles contre 17 compagnies aériennes – dont Air France – qu'elles accusent de  « verdissage »  ( « greenwashing ») et de  « pratiques commerciales trompeuses ».

Elles condamnent le fait d'inciter les voyageurs à payer un supplément pour compenser les émissions de CO2 d'un vol ou pour contribuer au développement des carburants d'aviation durables qui  « ne représenteront au mieux qu'une part mineure dans les réservoirs des avions ». Et d'ajouter qu' « aucune des stratégies déployées par le secteur de l'aviation n'est actuellement en mesure de limiter les émissions de gaz à effet de serre ».

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