
Quand les commissions d'enquête parlementaire tournent aux tribunaux révolutionnaires
Les parlementaires, députés et sénateurs, sont très occupés. Une partie croissante de leur temps est prise par les commissions d'enquête. Certes, elles entrent dans le cadre de leur mission, selon l'article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». Mais elles ont tendance à se multiplier : « D'une par an en moyenne entre 1988 et 1997, le nombre de commissions est passé à environ dix chaque année depuis 2022 » relève Le Figaro (22/05/2025). « Onze commissions d'enquêtes parlementaires travaillent actuellement. Une multiplication et une surmédiatisation qui commencent à inquiéter, au point que les deux présidents de chambre appellent à plus de mesure », rapporte Le Parisien (24/05/2025).
Leur mode de fonctionnement paraît expéditif. Il contraste en tout cas avec celui de la justice dont la lenteur traditionnelle, gage de prudence, est aujourd'hui démesurément allongée par le manque de moyens face à la multiplication des affaires. Tandis que les commissions d'enquête parlementaire allient rapidité et publicité, la retransmission en direct des audiences offrant un spectacle pimenté. Pour se mettre en valeur devant leurs électeurs, certains députés se transforment en inquisiteurs. Mais corrigeons la comparaison : plutôt qu'un tribunal d'inquisition, où les accusés « avaient le droit de produire des témoins à décharge et de récuser leurs juges » (Jean Sévillia, Inquisition : l'histoire contre la légende), certaines de ces séances à l'Assemblée Nationale évoquent les tribunaux révolutionnaires devant lesquels tout « suspect » était condamné d'avance.
Ni la légitimité constitutionnelle ni l'utilité de ces commissions parlementaires ne sont en cause. On est soulagé que la vérité se fasse jour grâce à leurs investigations, actuellement dans le scandale du « fonds Marianne » contre « le séparatisme », naguère pour mettre au jour l'affaire Benalla, jadis pour comprendre le fiasco judiciaire de la sordide affaire d'Outreau (commission d'enquête parlementaire de février 2006).
A ceci près qu'« auditionner » n'est pas faire comparaître : une commission d'enquête n'étant pas un tribunal, les rapporteurs n'ont pas à jouer les juges d'instruction ou les procureurs, en « cuisinant » les auditionnés comme s'il s'agissait d'accusés. C'est pourtant le rôle qu'endossent sans vergogne certains députés qui accablent en direct, devant les caméras, des personnes contraintes par la loi d'obéir à leur convocation (refuser est passible d'amende, de prison et de suppression des droits civiques) et sommées de répondre « sous serment », tout en étant privées des droits de la défense et même du droit au silence accordé à une personne en garde à vue. La palme dans ce rôle de procureur revient aux députés écologistes et à ceux de La France insoumise (LFI) dont les réquisitoires rappellent (l'éloquence en moins) la partialité des accusateurs publics de 1793. Ainsi a-t-on vu et entendu « Benjamin Lucas [Les Écologistes – EELV] faisant la leçon à Luca de Meo [directeur général de Renault] ; Sandrine Rousseau [EELV] chapitrant Dominique Besnehard [producteur de cinéma] ; Paul Vannier [LFI] tordant les faits pour salir la réputation du Premier ministre et celle de sa famille [dans l'affaire du collège-lycée Bétharram ; Antoine Léaument [LFI] convoquant comme un délinquant Pierre-Édouard Stérin [entrepreneur – qui a refusé d'obtempérer]… » constate Vincent Trémolet de Villers sur Europe 1 (23/05/2025).
Mais voilà que des « auditionnés » se rebiffent contre ces juges autoproclamés qui les traitent en prévenus : Florent Menegaux, le patron de Michelin, a détaillé un bulletin de paye pour en montrer le poids fiscal à son interrogateur, Vincent Bolloré a rappelé l'engagement pour la liberté et le prix payé pendant la guerre par sa famille démocrate-chrétienne, et Bernard Arnault a lancé incidemment qu'à part les mots croisés, le quotidien « Le Monde » qu'on lui citait en référence, « c'est plutôt LFI »...
Les commissions d'enquête parlementaire « prennent un tour polémique qui pourrait nuire à leur crédibilité et leur autorité », avertit la chroniqueuse politique Sophie Coignard dans Le Point (20/05/2025). Elle évoque même une « autodestruction ». « Plusieurs députés du centre à l'extrême droite se sont indignés de la manière dont le Premier ministre François Bayrou a été interrogé (…) sur sa connaissance des faits dans l'affaire Bétharram, évoquant une "indécence totale", un "procès stalinien" ou encore une "exploitation assez indigne" » rapporte France 24 (15/05/2025). Marc Fesneau, le président des députés MoDem, un proche de Bayrou, a déclaré sur Radio J : « Il faut qu'on arrête avec les commissions d'enquête parce qu'on en fait des objets politiques permanents » où « il ne s'agit pas de combattre, il s'agit d'accuser. » L'audition du Premier ministre, le 14 mai, aurait-elle été le procès de trop pour les épigones de Fouquier-Tinville ? Pour l'avocat Robin Binsard, enseignant à l'Université Panthéon Sorbonne, de telles auditions sont « un résidu de barbarie » (Dalloz Actualité, 6/06/2025).