Économie

Quand euthanasie rime avec économies

Par Louis Daufresne. Synthèse n°2497, Publiée le 07/06/2025 - Photo :

Des manifestants contre le projet de loi sur l'aide médicale à mourir se rassemblent pour une contre-manifestation avec des pancartes près du Palais de Westminster, siège du Parlement dans le centre de Londres, le 16 mai 2025, alors que des amendements au projet de loi sur les adultes en phase terminale (fin de vie) doivent être débattus à la Chambre des communes.

Crédits : Benjamin Cremel / AFP
Cachez ce « soin » que je ne saurai voir ! Et si l'« aide active à mourir » (AAM), adoptée le 27 mai en première lecture à l'Assemblée nationale, relevait du serment d'hypocrite ? Pour faire sauter l'interdit de tuer, les promoteurs de l'euthanasie ont tenu un discours focalisé sur le soulagement de la douleur réfractaire. L'acte létal serait un service rendu au seul individu libre de provoquer sa mort quand il le souhaite. Jamais ils n'ont abordé la dimension contraignante et collective de ce saut éthique. Comme si un rideau de compassion masquait une intention cynique. Car, dans ce débat, une autre forme de soulagement existe, celui des finances publiques. On n'en parle d'autant moins qu'on l'espère massif. Dans ce registre, il ne s'agit plus de vanter la liberté souveraine du sujet mais d'associer le « réalisme » budgétaire à la pression que toute la société exercera sur les plus fragiles. En tenant la main qui va éliminer ceux qui se jugeront non productifs, l'État s'érigera en arbitre de la vie et de la mort. Une logique de permis à points qui laisse entendre que vieillir deviendra un luxe.

« Miser sur l'euthanasie (…) n'est-il pas un moyen de réduire sans contestation les dépenses de nos politiques sociales par ailleurs intouchables ? » La question est taboue. Raison de plus pour se la poser. Ce que fait Laurent Aventin dans son étude (mise en référence) intitulée Les aspects économiques de l'aide à mourir - entre conflit d'intérêt et risque d'utilitarisme de la vie humaine. Cet économiste de la santé a réalisé ce travail pour le compte de l'Institut éthique et politique (IEP), laboratoire d'idées promouvant le bien commun. Comment étaye-t-il le conflit d'intérêt ? Non de manière directe, via un enrichissement, mais par le désengagement « puisque les politiques d'aide à mourir s'inscrivent potentiellement comme un régulateur des dépenses budgétaires par l'élimination des plus vulnérables, c'est-à-dire, ceux qui sont le plus à charge de l'État providence ». Toute la question est d'évaluer les économies résultant de l'élimination prématurée des personnes fragiles.

Si les soins palliatifs impliquent des coûts, l'absence de soins engendre des économies. La pratique euthanasique met fin aux remboursements de la Sécurité sociale et des mutuelles de santé, au versement des pensions de retraite, aux allocations handicapées, au RSA ou autres prestations. Toutefois, note Laurent Aventin, il est encore « très difficile d'avoir des informations sur ces effets collatéraux d'économie budgétaire induites par l'élargissement de l'assiette des candidats à l'euthanasie et la facilité du passage à l'acte ». Comme aucune étude d'impact n'est disponible, il faut aller voir dans les pays ayant légalisé l'euthanasie ou le suicide assisté (Pays-Bas, Canada, Belgique, États-Unis). On constate alors que, dans ces pays, on inclut de plus en plus des personnes dont le pronostic vital n'est pas engagé, « plus particulièrement les catégories socio-économiques les plus vulnérables, pour lesquelles la précarité et l'accès aux soins sont des facteurs déterminants dans la prise de décision ».

Peut-on extrapoler à la France les chiffres du Québec ? Yves-Marie Doublet, juriste et éthicien, et Pascale Favre, médecin, s'y emploient dans une note intitulée Les non-dits économiques et sociaux du débat sur la fin de vie (Fondapol). Leur calcul est le suivant : vu le nombre de décès chez nous (638 266 en 2023), « si l'on rapportait à la France les chiffres de "l'aide à mourir" au Québec (7,3% des décès), on enregistrerait 46 000 euthanasies par an, soit 177 par jour ouvrable. En appliquant à ce nombre de décès, le coût annuel de 26 000 euros de la dernière année de vie, estimé par l'IGAS [Inspection générale des affaires sociales, ndlr] en 2017, corrigé de l'inflation, on arriverait approximativement à terme, à 1,4 milliard d'euros d'économies annuelles de dépenses de santé, si l'on transposait la législation du Québec. »

Jean Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d'État, confirme ce chiffre. Dans une interview au Figaro datée du 14 mai 2024, avant que la dissolution du Parlement ne reporte la réforme sociétale, il affirme que « la mort administrée va engendrer des économies non négligeables, déjà évaluées par le gouvernement canadien ». Jean-Marc Sauvé regrette que nos pouvoirs publics n'anticipent pas cet aspect : « II aurait pu être procédé à ce chiffrage en s'appuyant sur un rapport de l'IGAS sur les dépenses de l'Assurance maladie en fin de vie qui s'élèvent à 6,6 milliards d'euros par an. » Selon lui, l'AAM « peut apparaître comme l'ultime ruse du libéralisme pour faire des économies sur l'État-providence ».

Le périmètre de ces économies ne demande qu'à s'élargir à mesure que la permissivité s'accroît, comme le rappellent Yves-Marie Doublet et Pascale Favre car, « dès lors que le critère de la fin de vie (décès prévisible à six mois) disparaît, il devient possible, comme au Québec, et même souhaitable de proposer aux patients atteints d'une pathologie grave, "le choix" de l'euthanasie dès l'annonce du diagnostic ». Dès lors, « ce n'est plus en journées ni en semaines, mais en mois voire en années, qu'il faudra comptabiliser les économies ainsi réalisées ». Reconnaissons que cette projection-là, au stade où nous en sommes en France, est totalement hasardeuse.

En tout cas, celle-ci rejoint l'analyse de Laurent Aventin : il ne faut pas restreindre le sujet à la fin de vie. « 1% des bénéficiaires de l'Assurance maladie vont consommer dans leur dernier année de vie, environ 11% des montants remboursés par l'Assurance Maladie, soit une dépense moyenne de 26 000 euros par an. » Selon l'étude de l'IGAS publiée en 2017, l'enveloppe publique consacrée à la dépendance était d'environ 24 milliards dont 14 consacrés à la dernière année de vie. En fait, « ce sont, écrit Laurent Aventin, les maladies chroniques qui coûtent le plus cher au système de soin ». Maintenir en vie des personnes atteintes de pathologies lourdes est plus onéreux que les soins qu'on leur procure dans leurs derniers instants. L'étude Maid Death Review 2024 en Ontario (Canada), souligne que les bénéficiaires de l'AAM sont « plus susceptibles de résider dans des zones à forte marginalisation, avec une corrélation marquée sur les critères de l'âge et du handicap ».

Le désir de vivre dépend de l'estime de soi. Plus tôt les gens s'élimineront eux-mêmes en estimant que leur vie ne vaut plus le coup, moins ils coûteront cher à l'État. Les organismes de couverture, comme les mutuelles, jouent un rôle à contre-emploi (Le Figaro). Ils font coïncider leurs intérêts et l'évolution des mentalités, comme la MGEN (Mutuelle générale de l'Éducation nationale) qui révèle que 97% de ses adhérents sont favorables à l'AAM. Les opposants à l'euthanasie qualifient cet engagement mutualiste d'« indécent » (Alliance Vita). Si la vie humaine monétisée devient un facteur de compétitivité, cela incitera à offrir le plus tôt possible le « soin ultime », comme on dit au Québec. D'autant que, philosophiquement, les partisans de l'euthanasie déplacent toujours plus le sujet en amont puisqu'ils désirent que chaque individu, en vertu d'une liberté absolue, puisse programmer sa mort, sans condition. Pourquoi attendre d'être malade pour être libre ? Cette perspective explose tous les cadres prévisionnels et fait entrer dans une nouvelle ère.

Une chose est sûre : une fois la loi adoptée, il n'y aura aucune raison de ne pas la « pousser » plus loin. Le déficit de la Sécurité sociale repart en forte hausse depuis 2023, le dossier du financement des retraites est explosif, et « il va manquer 110 000 places en Ehpad dans les cinq ans à venir », pronostique Laurent Aventin, sachant que « 85 % des établissements publics du secteur médicosocial et deux tiers des établissements privés associatifs affichent un déficit comptable ». Selon l'OMS, la proportion des plus de 60 ans dans le monde passera à 22% en 2050 contre 12% en 2015. Comme le dit Jacques Attali, dès qu'on dépasse cet-âge-là, « l'homme vit plus longtemps qu'il ne produit et il coûte alors très cher à la société. (…) Il est préférable que la machine humaine s'arrête brutalement plutôt qu'elle ne se détériore progressivement ». Et surtout qu'elle ne détériore pas les porte-monnaies en obligeant les hommes à être solidaires les uns des autres jusqu'au bout.

La sélection
Les aspects économiques de « l’aide à mourir »
Lire l'étude sur le site de l'IEP
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1 commentaire
Gaël
Le 07/06/2025 à 20:31
Cette analyse suppose que nos gouvernants ou financiers ont à cœur de réduire la dépense publique de santé. Si c'était vraiment le cas, il y aurait bien d'autres moyens de le faire, en autorisant des thérapies moins coûteuses, en réutilusant des molécules hors brevets, en développant la recherche dans ce sens... Le Covid a clairement montré que la Santé publique est souvent un moyen facile de transférer de l'argent public vers des entreprises privées.
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