Politique

En voulant « labelliser » les médias, Macron provoque un séisme

Par Philippe Oswald. Synthèse n°2618, Publiée le 06/12/2025 - Photo : Le président français prononce un discours lors d'une rencontre avec des lecteurs du groupe Ebra, un groupe de journaux régionaux opérant dans l'est de la France, à Mirecourt, le 28 novembre 2025. Crédits : ABACA via Reuters Connect.
Emmanuel Macron a réactivé son idée récurrente de « domestiquer » les réseaux sociaux et de donner un « label » aux médias « respectant la déontologie de la profession ». Cette initiative a été perçue comme la tentative d'un pouvoir aux abois de museler la liberté d'expression et de la presse. La contre-offensive des opposants politiques et des médias met l'Élysée dans l'embarras.

Encore une idée révolutionnaire : « domestiquer » les réseaux sociaux et « labelliser » les médias. Emmanuel Macron l'avait émise dès 2017, mais il l'a fignolée à l'Élysée le 28 octobre « avec quelque 200 experts et acteurs de terrain, afin de lutter contre les menaces de l'internet et des réseaux sociaux sur la démocratie et les élections » (Radio France). Ensuite, le président de la République a lancé son projet dans le grand public à Toulouse, le 12 novembre, devant les lecteurs de La Dépêche du Midi, puis à Arras, le 19 novembre, devant ceux de La Voix du Nord. Intervenant sur le thème de « la démocratie à l'épreuve des réseaux sociaux et des algorithmes », le chef de l'État a déclaré qu'il fallait « les domestiquer ».

Cette « domestication » ne vise pas que les réseaux sociaux : « Les thèmes abordés tourneront autour du complotisme, de la transparence des algorithmes, du rôle des médias, ou encore de l'éducation à l'esprit critique », avait annoncé La Dépêche du Midi. Face à ces « menaces » planant sur « nos démocraties », avait renchéri La Voix du Nord, « le président de la République estime le moment venu de la prise de conscience, mais aussi celui de l'action ». De fait, Emmanuel Macron a dit vouloir « tout faire » pour que soit mis en place un label professionnel garantissant la bonne information. « On va créer des mécanismes qui détectent et dénoncent les ingérences informationnelles », a promis le président, ces mécanismes incluant un référé judiciaire permettant de faire disparaître promptement les « fausses nouvelles ».

À qui serait confié le pouvoir de traquer les médias déviants et de décerner ou non ce label ? À des professionnels des médias, qui puissent dire « ceci correspond à la déontologie » du secteur, a expliqué Emmanuel Macron. Et de citer en modèle l'ONG Reporters sans Frontières (RSF). Or, quelques jours plus tard, l'impartialité de cette ONG était fortement ébranlée par le refus de l'Arcom de donner suite à la dénonciation de CNews par RSF, rapporte Le Point (27/11/2025) : « CNews ne respecterait pas le pluralisme et les temps de parole en politique ? À l'Arcom, le gendarme de l'audiovisuel, on est tombé des nues en découvrant le rapport de Reporters sans frontières (RSF), mis en scène ce jeudi soir dans le Complément d'enquête sur CNews diffusé sur France 2. Dans ce texte, l'ONG accuse la première chaîne d'information du pays [CNews] de contourner les règles du pluralisme en accordant massivement du temps de parole à la gauche la nuit, pour compenser un déséquilibre en faveur de la droite et de l'extrême droite en journée. » Pourtant peu suspecte de complaisance envers CNews, l'Arcom l'a donc lavée de cette accusation.

La proposition d'Emmanuel Macron a provoqué un tollé à droite, quelques approbations à gauche, et une grande gêne dans la Macronie. « Presque une semaine après les déclarations du chef de l'État [...], les réactions indignées [...] continuent de déferler », constatait Le Figaro (02/12/2025). Les LR ont lancé une pétition en ligne intitulée, « Médias : oui à la liberté, non à la labellisation ! », en concurrence avec la pétition du président de l'Union des droites, Eric Ciotti, intitulée : « Non à la censure et à la labellisation des médias rêvées par le président Macron ! » Le maire de Cannes et président des maires de France, le LR David Lisnard, a appelé « à la plus grande vigilance face à ce qui ressemblerait à un “ministère de la Vérité” ». Même critique de Jordan Bardella, président du RN, qui a dénoncé sur CNews une « labellisation des médias » lui rappelant le « ministère de la Vérité » prophétisé par le romancier Georges Orwell. Quant au président des LR, Bruno Retailleau, il a ironisé sur X : « Rassurez-moi : ce tweet de l'Élysée a bien été labellisé ? »

Le tweet élyséen en question n'aura pas rendu service au président de la République : il qualifiait de « fausses informations » les critiques du projet présidentiel émises par Pascal Praud et Philippe de Villiers sur CNews. En stigmatisant des opinions éditoriales, l'Élysée confirmait les soupçons de cadrage idéologique. Faut-il imputer cette maladresse au seul service de communication présidentiel ? « Selon nos informations, Emmanuel Macron était bien au courant de la vidéo publiée par le compte officiel de l'Élysée. Il l'a vue, assure-t-on. La décision de publier une vidéo comme ça n'est pas "prise sans que le Président ne l'ait vue" », rapporte Public Sénat (02/12/2025).

Devant l'ampleur des réactions négatives, l'Élysée a rétropédalé. Selon la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, le président a affirmé en Conseil des ministres qu'il n'avait « jamais » envisagé de créer un « label d'État » pour les médias, et « encore moins de ministère de la Vérité ». Bien sûr, a rétorqué Marion Maréchal, eurodéputée et présidente d'Identité Libertés, sur CNews (04/12/202) : en URSS, ces « labels » n'étaient jamais délivrés directement par le Kremlin, mais par des « comités » toujours alignés sur le Parti. On n'en est pas encore là, mais on entre dans « une logique proche d'un ministère de la Vérité », alerte le JDD (30/11/2025, en lien ci-dessous).

À retenir
  • Emmanuel Macron a relancé publiquement son idée de « domestiquer » les réseaux sociaux et de « labelliser » les médias pour traquer les « fausses nouvelles ».

  • L'opposition et de nombreux médias s'insurgent contre une atteinte à la liberté d'expression et de la presse.

  • Devant l'ampleur des réactions, l'Élysée rétropédale en assurant qu'il n'est pas question de créer « un label d'État » ni « un ministère de la Vérité ».

La sélection
Emmanuel Macron : la tentation du ministère de la Vérité
Le JDD
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