
Pourquoi la jeunesse catholique se presse sur la route de Chartres
Les chants et les Ave Maria s'élèvent vers le ciel, portés par une colonne interminable, jonchée de croix et de bannières. Des centaines de prêtres, en soutane et surplis, confessent un peu à l'écart, intercalés entre les groupes. Lors des messes, célébrées en latin, le prêtre est orienté vers le crucifix placé à l'arrière de l'autel, dans la même direction que les fidèles. La 43e édition du pèlerinage de Chartres, organisé par l'association Notre-Dame de Chrétienté, a mis un peu plus en lumière un évènement qui ne cesse de prendre de l'ampleur, et ce malgré les polémiques qui l'ont entouré depuis ses débuts.
Car ce pèlerinage est d'abord une histoire. Celle de Charles Péguy qui remit au goût du jour la pratique séculaire du pèlerinage en marchant 144 km vers Chartres. Une expérience plus mystique que physique : « Dès que je l'ai vue (la cathédrale), ça a été une extase. Je ne sentais plus rien, ni la fatigue, ni mes pieds. Toutes mes impuretés sont tombées d'un seul coup, j'étais un autre homme, j'ai prié comme je n'avais jamais prié, j'ai pu prier pour mes ennemis ». Une histoire qui se conjugue aussi au passé récent de l'Église : quand Mgr Lefebvre sacra quatre évêques contre l'avis de Rome en 1988, Notre-Dame de Chrétienté préféra l'union au Saint-Siège, saisissant la main tendue par Jean-Paul II envers les fidèles attachés au rite tridentin. « Une décision profondément douloureuse », se souviennent les organisateurs, partageant plusieurs diagnostics de Mgr Lefebvre sur la crise de l'Église. Si elle reconnaît, non sans parfois émettre des critiques, la nouvelle messe et le Concile Vatican II, l'association veut être au sein de l'Église romaine, le porte-étendard de la liturgie traditionnelle.
Les crispations sont au rendez-vous. La dernière en date étant le reproche adressé par Mgr Christory, évêque de Chartres, à Notre-Dame de Chrétienté, pointant son refus de laisser célébrer aux prêtres la messe selon le nouveau rite de 1969 (Novus Ordo) : « Je suis l'évêque de tous, j'accueille tout le monde [...], mais je ne reconnais pas le magistère de l'association organisatrice du pèlerinage de légiférer en matière de liturgie dans mon diocèse en imposant une seule façon de célébrer la messe aux prêtres. » Du côté de l'association, on dénonce dans un manifeste une stratégie visant à noyauter son ADN : « Les courriers reçus sont très clairs : il nous est demandé de transformer en profondeur l'esprit de notre pèlerinage traditionnel, en faisant du « Novus Ordo » la norme, et du « Vetus Ordo » l'exception tolérée, soumise à l'autorisation de l'évêque du lieu ou du dicastère pour le culte divin ».
Les organisateurs regrettent que cette querelle, déjà vieille, « puisse brouiller le message essentiel que le pèlerinage se propose d'apporter à nos contemporains, à savoir ce magnifique témoignage public de foi, joyeux et pénitent, d'une chrétienté portée par l'espérance du Règne du Christ et avide d'annoncer le Christ dans un monde qui s'éloigne de Lui. » Une vision politique du christianisme, ainsi la jugent ses contempteurs. Le thème de cette 43e édition était : « Pour qu'Il règne sur la terre, comme au ciel ». « Le sujet de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ est au fondement de Notre-Dame de Chrétienté. Il est malheureusement assez négligé dans l'Église aujourd'hui », remarque Philippe Darantière, président de l'association.
Par delà les polémiques, une question s'impose pourtant. Pourquoi la messe traditionnelle attire-t-elle autant, notamment les jeunes ? D'aucuns pourraient y voir une liturgie démodée, entretenue par quelques nostalgiques amoureux de la dentelle plus que du Christ crucifié. L'association s'en défend : « Il n'est pas question là de vague sentimentalité esthétique, mais de vie, de respiration, d'expression incarnée de la foi ». Faute de pouvoir sonder les cœurs, il reste pertinent d'analyser les faits. Notre-Dame de Chrétienté attire 19 000 pèlerins et doit refuser de nombreuses inscriptions. Des chapitres « anges gardiens » se constituent afin de prier pour les marcheurs, à défaut de pouvoir les suivre. Combien d'autres pèlerinages, en France ou en Europe, regroupent tant de personnes en même temps ?
Entre 30 et 40% des pèlerins ne sont pas des fidèles réguliers de l'ancien rite mais trouvent sur la route une réponse à leur soif spirituelle. Comme un signe des temps, cohérent avec l'augmentation surprenante des baptêmes catholiques (voir LSDJ 2455) : « J'attends ce pèlerinage chaque année avec une impatience folle ! C'est mon moment privilégié avec le Christ, un tête-à-tête qui me permet de me recentrer, loin des tracas du quotidien. C'est comme une vraie parenthèse, un ressourcement dans Sa création. Si le paradis ressemble à ça, franchement, j'ai hâte d'y être ! », s'exclame Sidonie (23 ans).
« Ce qui m'a attiré au pèlerinage de Chartres c'est d'abord cette exigence à la sainteté et à la conversion intérieure », explique François Menesson, étudiant à Sciences Po : « Dans les catéchèses habituelles, on ne nous parle pas du salut, on ne nous donne pas l'envie du ciel ni la peur de l'enfer. Il ne s'agit pas d'effrayer les gens mais de dire la réalité de ce qu'est notre foi : c'est dans l'Évangile c'est très clair. Moi, ce qui m'a converti là-dessus, profondément, c'est la vie des saints. […] Ce sont des gens qui n'aspirent qu'à ça […], qu'au ciel, qu'aux âmes, qu'au bien, qu'à l'amour ». Les attentes sont formulées. Le défi pour l'Église de France sera de savoir y répondre.