Sciences

Lecture de l'ADN préhistorique : quand un progrès scientifique bouleverse l'anthropologie

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°2500, Publiée le 11/06/2025 - Crédits photo : Shutterstock
Des avancées scientifiques spectaculaires permettent de lire de l'ADN très ancien. Les conclusions des généticiens bouleversent l'archéologie et l'anthropologie enseignées depuis 80 ans. Elles battent en brêche les thèses modernes qui expliquent la formation des populations européennes par le mélange progressif entre individus. C'est le retour de l'histoire « tragique » faite d'invasions.

C'est une des plus importantes découvertes scientifiques des 15 dernières années : on arrive à lire l'ADN très ancien. Une équipe internationale de généticiens basée à Leipzig (Allemagne) a développé une méthode permettant d'extraire des quantités infimes d'ADN et de les analyser. À partir de 2009, ils ont réussi à déchiffrer le code génétique humain provenant d'os datant de dizaines de milliers d'années. La méthode adoptée permet également de faire ces analyses à faible coût et très rapidement : une lecture de squelettes « à la chaîne ». L'objectif était d'étudier les hommes de Néandertal et leurs cousins ​​dénisoviens. Il s'agissait d'explorer l'aube de l'humanité...

Mais cette avancée scientifique majeure allait dépasser sa cible et révéler les circonstances du peuplement de l'Europe. Le consensus des archéologues depuis 80 ans était que notre continent avait connu un mélange entre des autochtones chasseurs-cueilleurs et des populations maîtrisant l'agriculture venant du Moyen-Orient. Une sorte de migration heureuse en ligne avec les idées postmodernes en vogue dans les milieux universitaires depuis des décennies. L'archéologie moderne a adopté une lecture progressiste de l'histoire de l'humanité : l'appartenance à un clan, une ethnie, ne serait qu'une construction sociale. L'individu, sa capacité d'adaptation à son environnement et aux échanges, serait les facteurs décisifs déterminant l'épanouissement des civilisations. Il faut comprendre cette page postmoderne dans le cadre de l'histoire de cette jeune discipline qu'est l'archéologie née au 19e siècle. Alors que l'Europe connaissait un regain des nationalismes et que les grandes puissances construisaient des empires, certains pionniers (comme l'Allemand Kossinna) ont décrit une histoire humaine faite d'affrontements entre cultures et ethnies… Kossinna est mort en 1931, avant l'arrivée au pouvoir d'Hitler. Mais les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale ont poussé les chercheurs à qualifier cette lecture de simpliste, voire dangereuse. Et l'archéologie postmoderniste a imposé ses dogmes : il n'y aurait pas de lien entre ethnie et culture. Cette lecture est environnementale : ce n'est pas la culture d'un groupe, mais les conflits sociaux, les crises climatiques, etc., qui ont déterminé le peuplement de l'Europe.

Revenons à nos ancêtres européens : la lecture de l'ADN vieux de près de 5000 ans à fait l'objet d'une publication en 2015 qui a renversé la table. « Une migration massive en provenance des steppes orientales est à l'origine des langues indo-européennes ». L'étude de l'ADN démontre que les ancêtres des Européens d'aujourd'hui – en partie les régions méditerranéennes qui ont effectivement connu des échanges notables avec le Moyen-Orient – ​​n'étaient pas encore là il y a 5000 ans. Ce sont les héritiers d'un peuple belliqueux et prédateur, expert dans le dressage et l'utilisation des chevaux qui ont commis un génocide à l'échelle continentale. Ces mêmes bergers venus de régions au nord de la mer Noire et du Caucase ont aussi – à l'âge de bronze – envahi le nord du sous-continent indien. Cette révélation remet en lumière des traditions qualifiées de « légendes » par nombre d'archéologues de l'époque contemporaine. Par exemple, le peuple Swahili sur la côte kenyane, qui revendique un héritage perse. Les mythes fondateurs britanniques parlant de la migration anglo-saxonne venant du continent pour chasser les Celtes, ou encore l'arrivée des Japonais sur leur archipel actuel…

Les découvertes s'enchaînent et remettent en question nombre de dogmes de l'archéologie moderne. Deux individus – naturellement momifiés et vieux de 7000 ans – ont été retrouvés au cœur du Sahara libyen  : forme d'inhumation possible à l'époque – il y a 4000 à 5000 ans – où cette région était verdoyante. Or, leurs génomes ne comportent aucun lien avec ceux des populations subsahariennes. Le Sahara vert de l'époque n'était donc pas un couloir majeur de migration, contrairement à ce qu'avancent les thèses modernes : l'Afrique du Nord était occupée par un groupe ethnique isolé et distinct pendant des milliers d'années – une longue continuité génétique jusqu'à l'âge de glace tardif. Si l'évolution des pratiques pastorales démontre des échanges culturels avec l'Afrique subsaharienne, les analyses génétiques révèlent que les métissages ont été très limités jusqu'à ce que la sécheresse oblige les autochtones à partir.

Les avancées scientifiques exceptionnelles permises par ces nouvelles techniques de lecture génomique remettent l'histoire moderne dans la suite de l'aventure humaine souvent tragique. Les Espagnols de Cortés ont saccagé la capitale aztèque en 1521, rasant les pyramides de Tenochtitlán (aujourd'hui Mexico) pour construire une cathédrale sur les fondations de la plus importante d'entre elles. On se désole de cet épisode en oubliant que les Aztèques eux-mêmes étaient des envahisseurs venus moins de deux siècles auparavant de la côte ouest-mexicaine, soumettant les autochtones au joug de l'esclavage…

La sélection
Ancient DNA and the return of a disgraced theory
Lire l'article sur : Quillette
S'abonner gratuitement
2 commentaires
Le 11/06/2025 à 23:52
pour moi pas grand chose de nouveau, ce n'est que le siècle passé que s'est développé l'idée que des peuples peuvent se parler, se mettre d'accord ensemble, d'aider les plus faibles plutôt que de prendre par la force: SDN, croix rouge, ONU. Pas toujours avec succès il est vrai mais l'idée est là. Et ce siècle va même plus loin avec le respect des autres races loup, chien, baleine, etc même si celles-ci n'ont pas toujours compris et que je suis toujours attaqué par les moustiques! Croyons à un futur meilleur.
Répondre
Signaler
Répondre
François
Le 11/06/2025 à 21:48
Il est plutôt encourageant de constater que ces résultats (à prendre avec des pincettes, bien sûr) se marient relativement bien avec les récits anciens.
Répondre
Signaler
Répondre
Voir tous les commentaires
Ajoutez votre commentaire
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
Lecture de l'ADN préhistorique : quand u...
2 commentaires 2
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne