
Circle plus fort que Meta, Uber ou Airbnb
Le 5 juin 2025, Circle a réalisé l'une des introductions en bourse les plus spectaculaires de l'histoire récente. Cotée sur le Nasdaq, la deuxième bourse américaine, son action, introduite à 31 dollars, a bondi à 83,23 $ dès le premier jour, puis à 107,70 $ le lendemain, avec des pics à plus de 120 $. Cette envolée traduit un déséquilibre entre l'offre et la demande, selon plusieurs sources, chaque action proposée trouvait jusqu'à 25 acheteurs, un signe fort de confiance et d'attentes de rendement.
Mais c'est le profil des acheteurs qui impressionne, avec notamment BlackRock, Fidelity, JP Morgan, des fonds souverains, des banques d'affaires internationales ou encore de grands noms du capital-investissement. Circle a dépassé les attentes et a levé plus d'un milliard de dollars lors de cette IPO (Initial Public Offering, ou introduction en bourse, qui consiste à vendre des actions au public pour s'auto-financer), atteignant une valorisation dite « fully diluted » de plus de 8 milliards de dollars (une expression qui désigne la valeur théorique de l'entreprise si tout était pris en compte). Il s'agit du plus gros succès boursier dans la crypto-monnaie depuis Coinbase en 2021 et l'un des plus impressionnants de l'histoire moderne, surpassant des géants comme Airbnb, Meta ou Uber en termes de performance initiale.
Circle a été fondée en 2013 par Jeremy Allaire et Sean Neville, deux entrepreneurs américains. Le premier, Jeremy Allaire, diplômé en sciences politiques et philosophie, a grandi dans la pédagogie Montessori, qui lui a inculqué, selon lui, le goût de l'autonomie et de l'innovation. Il fonde dans les années 1990 plusieurs entreprises innovantes, dont Allaire Corporation (créateur de ColdFusion, un des premiers langages pour sites web dynamiques) et Brightcove (vidéo en ligne). Le second, Sean Neville, ingénieur passé par Adobe, rejoint Allaire Corporation en 2000 comme développeur. Il quitte la direction opérationnelle en 2019, tout en restant administrateur, avant de cofonder Catena Labs, une banque pilotée par l'intelligence artificielle.
Quand Circle est fondée en 2013, l'objectif est de rendre les paiements en monnaie numérique aussi simples qu'un e-mail. L'entreprise lance alors une application utilisant le Bitcoin, censée permettre d'envoyer de l'argent facilement. Mais le projet arrive trop tôt (bitcoin peu utilisé, instable, et aucun cadre légal). En 2016, ils rebondissent avec « Circle Pay », une sorte de WhatsApp, mêlant chat et envoi d'argent. Là encore, flop. En 2018, nouvel essai, Circle rachète la plateforme d'échange Poloniex pour 400 millions de dollars. Échec, elle sera revendue à perte deux ans plus tard. À ce stade, Circle évoque ces startups qui multiplient les revers… tout en continuant de lever des millions.
Tout bascule en 2018, lorsque Circle s'associe à Coinbase pour lancer l'USDC, ce qu'on appelle un « stablecoin ». C'est une version numérique du dollar, un jeton qu'on peut s'échanger sur internet, mais qui garde toujours la même valeur qu'un vrai dollar. Aujourd'hui, l'USDC est devenu le cœur d'activité de Circle, avec environ 60 milliards de dollars en circulation. Là où Ripple cible les transferts interbancaires et veut concurrencer Swift (LSDJ n°2372 sur le XRP), Circle vise les paiements du quotidien, en concurrence ou en partenariat avec Paypal ou Visa / Mastercard. Des zones d'ombres majeures subsistent, mises en lumière notamment par le scandale Libra, impliquant Javier Milei (désormais blanchi), qui révèle que Circle peut geler n'importe quel USDC à tout moment. Un contrôle centralisé qui interroge, tout comme le risque de monopole privé sur une monnaie numérique censée être universelle (voir vidéo du youtubeur « Objectif Lune crypto » en sélection).
Les stablecoins sont en train de s'imposer comme un maillon essentiel de la finance numérique de demain. Un stablecoin n'a pas vocation à grimper ou chuter car il est conçu pour rester stable (chaque unité vaut un dollar réel). Ce n'est pas un pari, c'est une monnaie numérique, portée non pas par une banque centrale, mais par des entreprises privées comme Circle ou Tether, ou bientôt par des banques comme la Société Générale (qui va lancer son stablecoin adossé au dollar). L'avantage, c'est qu'ils fonctionnent déjà, sur des réseaux publics comme Ethereum ou Solana (des « blockchain », terme expliqué dans la LSDJ n°2390). Ils permettent d'utiliser l'argent instantanément, de manière sécurisée, partout, tous les jours, 24h/24, sans banque intermédiaire.
Dans cette dynamique, tous les pays préparent une version numérique de leur monnaie. Mais attention, les monnaies numériques de banque centrale sont très différentes car émises directement par les États, contrôlées de bout en bout, et pensées avant tout pour un usage institutionnel ou administratif (aide sociale, traçabilité fiscale, etc.). Leur circulation et leur usage seront probablement surveillés (et permettront de surveiller). Les stablecoins, eux, répondent à une logique de marché. Ils sont conçus pour être adaptés aux usages quotidiens. Il existe déjà plusieurs « dollars numériques » comme il existe plusieurs banques pour une même carte ou devise. La concurrence s'étend aussi à la monnaie numérique.