À la tête d'une fortune de 800 millions de dollars, suivi par 1,8 million de personnes sur Instagram et 1,6 million sur YouTube, Bryan Johnson est devenu célèbre grâce au documentaire Netflix qui lui a été consacré. De ce documentaire, le média Brut a tiré un reportage instructif qui dresse un tableau exhaustif du personnage. Bryan Johnson est né aux États-Unis, dans l'Utah, en 1977 et à l'époque, la famille ne roule pas sur l'or. Son père, avocat, radié du barreau pour toxicomanie, quitte femme et enfants. Plus tard, avant de rentrer à l'université, Bryan Johnson – pétri de religion mormone – choisit de partir pendant deux ans en Équateur en tant que missionnaire. Marqué par la pauvreté du pays, il forme déjà un projet ambitieux : « Gagner énormément d'argent avant 30 ans et trouver un moyen de faire passer l'humanité au niveau supérieur », comme il le raconte sur le réseau X. Cette fortune arrive quelques années plus tard quand il fonde la société Braintree, une passerelle de paiements proposant aux entreprises des virements fluides et sécurisés. Rachetée par PayPal quand Bryan Johnson a 36 ans, Braintree lui permet d'empocher la coquette somme de 800 millions d'euros. Dès lors, l'homme change de vie. Alors qu'il était marié et père de trois enfants, il quitte sa femme pour se consacrer à son rêve : devenir immortel.

Aujourd'hui, à quoi ressemble la vie de Bryan Johnson ? Chaque journée est la même, respectant un protocole strict intitulé BluePrint, qu'il qualifie de « meilleur protocole anti-âge au monde. » L'objectif est d'inverser la courbe du temps et rajeunir. Et pour ce faire, notre milliardaire teste les meilleures techniques anti-âge. « Ma vie, c'est d'être un objet d'expérience scientifique », explique-t-il face caméra, le corps couvert d'électrodes. Dans le détail, côté sommeil d'abord : il se lève à 5 h du matin et se couche à 20h30 tous les jours sans exception. L'alimentation ensuite. Il ingère une centaine de compléments alimentaires par jour, et mange frugalement : pas plus de 1977 calories réparties en trois repas, dont le dernier est à 11 h du matin. C'est environ 20% de moins que la quantité de calories recommandée pour un homme de sa corpulence. Du sport en quantité bien sûr, puisqu'il consacre plusieurs heures par jour à l'activité sportive. Mais l'homme ne s'arrête pas là. Au printemps 2023, il teste avec son fils de 17 ans des échanges de plasma, largement mis en scène sur ses réseaux sociaux (voir ici). Il déclare aussi expérimenter une technique de rajeunissement du pénis pour prolonger la durée de ses érections.

Une équipe d'une trentaine de médecins mesure quotidiennement toutes ses données corporelles. « Mon équipe et moi collectons des centaines de biomarqueurs issus de mon corps », pour mettre au point ce fameux protocole anti-âge qu'il s'empresse de partager – et de commercialiser – au plus grand nombre. À la question est-ce que ça marche ? Son âge biologique aurait diminué de 5 ans depuis qu'il a commencé le protocole BluePrint il y a maintenant 3 ans, répondent les médecins.

À ce stade, il serait simpliste de classer Bryan Johnson dans la catégorie des fous dont chaque époque a son lot. Car, dans les faits, il n'est pas une exception. Depuis plus de 20 ans, les milliardaires de la Silicon Valley rêvent – comme leur ami Bryan – de devenir immortels.

Mark Zuckerberg, Monsieur Meta (Facebook-Instagram-Whatsapp) a créé avec sa femme, Priscilla Chan, une fondation dans laquelle il a injecté 3 milliards de dollars, afin « d'éradiquer toutes les maladies ». Dans sa logique, la vieillesse est considérée comme une maladie à part entière. Jeff Bezos, fondateur d'Amazon, a également investi dans Altos Labs dont le but est de développer une technique de reprogrammation génétique. Dans l'équipe de Jeff Bezos, on retrouve le Dr Shinya Yamanaka, prix Nobel de Médecine en 2012 pour son travail sur les cellules souches. Ray Kurzweil, peut-être moins connu en France, n'en est pas moins très influent. Il y a déjà 20 ans, il prédit l'arrivée de l'intelligence artificielle et le septuagénaire ne s'arrête pas là. Il nous promet lui aussi un avenir radieux pour nos cerveaux devenus immortels, car couplés-connectés à l'intelligence artificielle. « Kurzweil, dans cette connexion de notre conscience au cloud, nous voit vivre plusieurs centaines d'années, nous voit créer des copies de notre cerveau, des sauvegardes » comme on peut l'entendre dans ce podcast de France Culture. Autre exemple : Peter Thiel cofondateur de PayPal, est persuadé que les hommes qui vont vivre mille ans sont déjà nés. « J'ai toujours trouvé étrange que l'on considère que le sens de la vie vienne de la mort. Cette idée est présente dans tous les mythes religieux et nationaux. Mais je n'y adhère pas. Quand on dit comme la mère d'Hamlet : "Tout ce qui vit doit mourir", c'est peut-être vrai. Mais c'est une vérité de la nature que l'on doit combattre ».

Plus proche de nous, Laurent Alexandre est médecin, fondateur du site Doctissimo et auteur de livres aux titres éloquents : la Mort de la Mort en 2011, et le plus récent, ChatGPT va nous rendre immortels en 2024. « Il y a une vraie volonté des milliardaires qui développent l'intelligence artificielle de tuer la mort », explique-t-il au micro d'Yves Calvi sur RTL. Si Laurent Alexandre se défend d'être le chantre du transhumanisme en France, tous ses écrits disent le contraire.

Que répondre à Bryan Johnson si l'on n'adhère pas à son rêve d'immortalité et que l'on voit des limites déontologiques à cet homme nouveau, ultra-connecté et donc ultra-surveillé ? Il suffit d'écouter Fabrice Hadjadj dans une de ces conférences de 2017, L'homme est-il immortel ? Le transhumanisme en question. Ce qu'il dit en substance : que le transhumanisme laisse de côté notre humanité et notre mortalité avec tout ce qu'elle a de savoureux, et qu'à force d'ultraperformance, on pourrait bien en perdre notre joie de vivre. En effet, comment continuer à trouver du sens dans une vie sans fin ? Dans cette conférence, Fabrice Hadjadj prédit – dans un sourire – un taux de suicide particulièrement élevé chez nos futurs immortels. En ce sens, il rejoint Homère, dans l'Iliade, quand il fait dire à Achille : « Les dieux nous envient parce que nous sommes mortels, parce que chaque moment peut être le dernier. » À méditer.