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Relations plus tendues entre Taipei et Beijing suite aux élections taïwanaises ?

Par Peter Bannister - Publié le 20/01/2024 - Crédit photo : Vera Sung / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Les relations entre la Chine et Taïwan sont-elles devenues plus difficiles suite aux élections du 13 janvier 2024 ? La victoire du nouveau président de l'île, William Lai (Lai Ching-te), qui prendra ses fonctions le 20 mai, n'est certainement pas une bonne nouvelle pour Beijing, consolidant le pouvoir du Parti Démocrate progressiste (PDP), traditionnellement indépendantiste. Celui-ci a été fondé comme une formation d'opposition clandestine en 1986, à l'époque de la « terreur blanche » du Kuomintang (KMT), sous les successeurs de Tchang Kai-Chek (perdant de la guerre civile en Chine continentale contre Mao Zedong). Le PDP est au pouvoir depuis 2016, année de l'élection de l'actuelle présidente Tsai Ing-wen. William Lai et sa vice-présidente Hsiao Bi-khim ont d'ailleurs des liens forts avec les USA : Lai a étudié à l'Université de Harvard, tandis que Hsiao Bi-khim, fille d'une mère américaine, a été la représentante de Taipei à Washington entre 2020 et 2023.

Au parlement, c'est par contre le KMT, historiquement moins intransigeant envers Beijing que le PDP, qui a gagné de justesse les élections avec 52 sièges (contre 51 pour le PDP). Un rôle clé sera tenu par les 8 députés du Parti populaire taïwanais (PPT), créé en 2019, dont le candidat présidentiel Ko Wen-je (ancien maire de Taipei) a recueilli 26,5 % des suffrages ; des discussions entre le KMT et PPT pour une collaboration parlementaire sont actuellement en cours.

Pour Marc Julienne de l'Institut français des relations internationales, ce serait une erreur de caractériser le paysage politique taïwanais en termes de clivage traditionnel entre un PDP en faveur de l'indépendance et un KMT plutôt pro-chinois. Dans les faits, les deux camps ont des approches pragmatiques à l'égard de la Chine, préconisant (tout comme le PPT) le maintien du statu quo dans l'immédiat, une position partagée par 87 % des Taïwanais selon un sondage de l'université de Chengchi. Le passé indépendantiste de Lai peut irriter Beijing, mais il estime actuellement qu'aucune déclaration d'indépendance (qui ferait casus belli) n'est nécessaire, car Taïwan est déjà indépendant de facto. Pour sa part, le KMT ne favorise plus la réunification subite avec la Chine, même si l'ancien président Ma Ying-Jeou (issu du KMT) a dit à la chaîne allemande Deutsche Welle qu'il fallait « faire confiance » à Xi Jinping. Les candidats actuels du KMT se sont distanciés de ses propos, conscients que Beijing est mal vu par beaucoup de Taïwanais suite à sa prise directe du pouvoir à Hong Kong pendant la pandémie.

Pour l'instant, il est difficile de dire si la situation dans le détroit de Taïwan est plus dangereuse qu'avant les élections. S'il semble clair que les partis et l'électorat taïwanais ont plutôt choisi une voie modérée, on s'interroge sur les véritables intentions de Beijing à court et moyen terme. La Chine reste hostile à Lai Ching-te, qu'elle a qualifié pendant la campagne électorale de « fauteur de troubles », critiquant également comme un « signal profondément erroné » les félicitations offertes à Lai par le secrétaire d'État américain Anthony Blinken et disant que tout pas vers l'indépendance de Taïwan serait sévèrement puni. Lors de sa première conférence de presse après les élections, le porte-parole du Bureau chinois des affaires taïwanaises a insisté sur les grands axes de la politique de Beijing, dont la réunification avec Taïwan selon le principe « un pays, deux systèmes » (formulé envers Macao et Hong Kong) et le « consensus de 1992 ». Une déclaration ambiguë selon laquelle Taïwan et la Chine accepteraient l'existence d'une « Chine unique », mais avec des définitions différentes. Le PDP de Lai rejette explicitement ce consensus, tout comme l'idée d'un seul pays avec deux systèmes.

La rhétorique chinoise reste agressive : dans son discours du Nouvel An 2024, Xi Jinping a qualifié la réunification avec Taïwan de « fatalité historique ». Cependant, beaucoup d'analystes estiment que Taiwan serait protégé d'un assaut militaire chinois non seulement par la force de dissuasion américaine et la difficulté pratique d'une invasion, mais aussi par son « bouclier de silicium » : il produit 92% des puces les plus avancées au monde. TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), fondée en 1987 par un ancien cadre de Texas Instruments, le légendaire Morris Chang (né en Chine en 1931), est la plus grande société cotée d'Asie, fournisseur privilégié d'Apple. L'attitude paradoxale de Beijing consiste à menacer l'île tout en sachant que la Chine dépend de ses semi-conducteurs (y compris dans le secteur militaire). Selon Bloomberg Economics, une guerre contre Taïwan provoquerait une baisse du PIB chinois de 17 % la première année. Par contre, cela ne fait pas du « bouclier de silicium » une garantie absolue de paix : selon le politologue Nathan Batto de l'Institut Sinica à Taipei, « L'objectif premier de Xi Jinping et du parti communiste est de rester au pouvoir. S'ils pensent qu'envahir Taïwan est une manière de le faire, alors c'est ce qu'ils feront. »

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