Écologie

Réchauffement climatique : le pape veut des engagements contraignants

Par Louis Daufresne - Publié le 07/10/2023 - Photo : Pixabay

Alors que le soleil de Satan fait de 2023 l'année la plus chaude jamais mesurée sur les neuf premiers mois, le pape François hurle que « le monde (…) s'effrite (et non  « s'écroule »  comme on lit partout, ndlr) et s'approche peut-être d'un point de rupture ». Sa prophétie figure dans son exhortation apostolique Laudate Deum (« Louez Dieu ») parue le 4 octobre, en la fête de saint François d'Assise. Le « peut-être » est superflu : les six chapitres et les 73 paragraphes cisèlent un message plus tranchant que l'encyclique Laudato Si' (« Loué sois-tu »), réflexion fondatrice de l'écologie intégrale publiée en 2015.

Laudate Deum en remet une couche dans l'atmosphère irrespirable de l' « urgence climatique ». Tel un pistolet sur la tempe, ce concept a tout du chantage : il faut forcer les décideurs à agir vite et fort. Le pape, à sa manière, place son doigt sur la détente, dans un contexte tendu : le plus grand fonds mondial pour le climat a réuni jeudi à Bonn (Allemagne) les 25 pays les plus riches, lesquels ont promis de le doter de 9,3 milliards d'euros. Sauf que les États-Unis, en pleine incertitude budgétaire, se refusent toujours à le financer. Les ONG déplorent ce silence, alors même que l'Amérique participe au conseil d'administration du fonds.

Né en 2010, le Green Climate Fund (GCF) paie aussi bien des panneaux solaires au Pakistan que des projets agricoles aux Philippines. Depuis l'accord de Paris en 2015, le Fonds vert pour le climat s'emploie à fournir aux pays pauvres 100 milliards de dollars par an d'aide climatique, promesse non tenue depuis 2020. Mais l'an dernier, un groupe d'experts des Nations unies estimait que les pays en développement auraient besoin, pour financer leur adaptation, de plus de 2000 milliards de dollars par an d'ici à 2030 ! Faire payer cette transition par les pays développés déjà lourdement endettés est un sujet inflammable qui sera au cœur de la COP28 de Dubaï début décembre.

Pour peser lourd et que ce rendez-vous soit un tournant, le pape dit « attendre des formes contraignantes de transition énergétique (…) avec des engagements effectifs et susceptibles d'un suivi permanent ». Laudate Deum l'énonce clairement : « Ce n'est que par un tel processus que la crédibilité de la politique internationale pourra être rétablie », juge-t-il.

François fait observer que « les signes du changement climatique sont toujours plus évidents » et qu'il n'est pas possible de les nier comme le font certaines « opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l'Église catholique ». De même qu' « il n'est pas possible, selon lui, de dissimuler la coïncidence entre ces phénomènes climatiques mondiaux et la croissance accélérée des émissions de gaz à effet de serre, en particulier depuis le milieu du XXe siècle. Cette corrélation, ajoute-t-il, est défendue par une écrasante majorité de spécialistes du climat, et seul un infime pourcentage d'entre eux tente de nier cette évidence. »  À l'image de Clintel (« Climate intelligence »), fondation néerlandaise créée en 2019 par un duo de millionnaires, le professeur de géophysique Guus Berkhout et le journaliste scientifique Marcel Crok. Leur « Déclaration mondiale sur le climat », mise en ligne fin juin, est signée par 1107 scientifiques dont un prix Nobel. « Il n'y a pas d'urgence climatique », concluent-ils en chœur, mais le fait que Berkhout ait travaillé pour le groupe pétrolier Shell atténue la portée de cette initiative.

Pour le pape, « ce à quoi nous assistons aujourd'hui est une accélération inhabituelle du réchauffement, à une vitesse telle qu'il suffit d'une génération – et non des siècles ou des millénaires – pour le constater ». Et il précise même qu'au moment où il écrivait Laudato si', le taux de dioxyde de carbone atteignait le niveau record de l'histoire « de 400 ppm pour atteindre 423 ppm en juin 2023. Plus de 42 % du total des émissions nettes produites depuis 1850 l'ont été après 1990 », s'alarme-t-il.

Le pape fustige le « paradigme technocratique », soit la croyance dans un « être humain sans aucune limite, dont les capacités et les possibilités pourraient être étendues à l'infini grâce à la technologie ». Mais attention : dépasser ce paradigme « ne se trouve pas dans la négation de l'être humain, mais inclut l'interaction entre les systèmes naturels et les systèmes sociaux ».

Cette vision coïncide avec celle de Jean Jouzel sur France Inter. Le climatologue croit que « le capitalisme tel qu'on le vit actuellement n'est pas compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique ». Lisons bien son propos : c'est au capitalisme de changer ; il ne s'agit pas de rompre avec lui. Jouzel comme le pape préfère la sobriété à la décroissance. Il plaide pour le « dynamisme économique »  autour de la transition et reconnaît même les efforts qu'un groupe comme Total peut faire dans ce sens. Mais si le pétrole devient rare et donc cher, quel intérêt le capitalisme aurait-il à s'en délester ? Sauf, bien sûr, si on l'y contraignait.

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Laudate Deum, le cri du Pape pour une réponse à la crise climatique
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