Sciences

Prix Nobel : voir le cœur des atomes

Par Janus Maat - Publié le 04/10/2023 - Photo : Freepik - Image de structures atomiques composées de protons, de neutrons et d'électrons.

3 octobre 2023. Nous attendons avec fébrilité l'annonce des lauréats du prix Nobel, quand sort le nom de deux Français : Anne L'Huillier et Pierre Agostini. Ils partagent avec Ferenc Krausz le prix Nobel de physique pour le développement de « méthodes expérimentales qui génèrent des impulsions de lumière attosecondes pour l'étude de la dynamique des électrons dans la matière ». Ma copine est à mes côtés. A son regard, je comprends rapidement qu'elle n'a pas saisi un mot de ce que le comité venait d'énoncer. Je m'attelle à la tâche.

Avant tout, double cocorico. Même si les deux lauréats ne travaillent plus en France (Suède pour l'une, USA pour l'autre), leurs travaux ont été en grande partie effectués à l'Université Paris Saclay (CEA), de 1987 aux années 2000. Le compte-rendu du comité Nobel le mentionne à juste titre à de nombreuses reprises. Je n'insisterai pas ici sur le problème de l'exode de nos excellents chercheurs, c'est un sujet auquel l'Etat devrait, à mon avis, réfléchir sérieusement.

Mais en quoi consistent précisément leurs travaux ? Suite à l'acte fondateur de la mécanique quantique, dont Niels Bohr posa la première pierre, une jeune génération de physiciens menèrent à leur tour la danse à la fin des années 1920. Ils s'appelaient Dirac, Schrödinger, Pauli ou Heisenberg. Et à la manière du chat de l'un d'entre eux, Heisenberg a formulé un principe d'incertitude qui stipule qu'il est impossible de déterminer à la fois la position et la vitesse d'une particule avec une précision absolue. Plus on zoom sur un électron de l'atome (augmentation de la précision de la position) et plus les électrons semblent aller vite (diminution de la précision de la vitesse). En d'autres termes, si nous voulions prendre une photo de l'atome entouré de son nuage d'électrons, il en résulterait une image très floue. Un peu comme si vous vouliez prendre une photo d'un TGV passant devant vous à grande vitesse. Si votre appareil n'a pas un temps de réaction suffisant, le train apparaît comme une traînée floue sur votre photo.

La solution serait donc d'avoir la possibilité de prendre des clichés à intervalle suffisamment rapide, et ainsi reconstituer le mouvement du train image par image, un peu à la manière d'Eadweard Muybridge qui fut le premier à comprendre le mouvement d'un cheval (Sallie Gardner) en 1878. C'est en décomposant image par image la course du cheval au galop qu'il se rendit compte qu'il existait un moment où aucune des pattes de l'animal ne touchait le sol : il semblait voler ! Mais que vient faire Sallie Gardner dans cette histoire du prix Nobel ?

Les lauréats ont en fait mis au point un appareil photographique équivalent à celui de Muybridge, mais à l'échelle des électrons de l'atome. Il ont réussi à créer des sortes de « flashes stroboscopiques » (impulsions de lumière) envoyés toutes les attosecondes, soit tous les milliardièmes de milliardièmes de seconde, soit toutes les 0.000000000000000001 seconde.

C'est tout simplement révolutionnaire. Avec leur technique, ils sont capables de prendre un ensemble de « photos » et de reconstituer le mouvement des électrons dans l'atome. Ils sont désormais en mesure de « voir » les mécanismes de combinaisons d'atomes, de réactions chimiques. Alors qu'auparavant, les chercheurs devaient se contenter d'une image A initiale, et d'une image B finale, sans savoir ce qu'il se passait entre les deux, les méthodes développées par nos chercheurs français permettent désormais de voir en direct le film des processus microscopiques en jeu.

Leur recherche est une recherche dite fondamentale. Cela veut dire que le champ des applications est désormais ouvert, et il est immense dans un domaine aussi précis que l'attoseconde. De la conception de puces microélectroniques super rapides, à l'analyse des réactions chimiques, ou aux applications en médecine, la seule limite est celle de l'imagination des prochains découvreurs et industriels. Le groupe de Krausz par exemple, développe déjà des techniques de diagnostique in vitro pour détecter les traces caractéristiques de maladies dans des échantillons sanguins. Vertigineux. Je me retourne vers ma compagne, elle sourit. C'est plutôt bon signe…

La sélection
Prix Nobel de physique 2023 : Anne L'Huillier et Pierre Agostini pour leurs travaux initiés au CEA
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