7 octobre 2025. C'est la saison des Nobel. La France a déjà été récemment récompensée dans le domaine quantique au travers d'Alain Aspect en 2022, puis Anne L'Huillier et Pierre Agostini en 2023. Il y a donc peu de chance qu'à nouveau, le comité Nobel… et pourtant si. Le prix Nobel 2025 est décerné une fois de plus à un Français, Michel Devoret, ainsi qu'à ses collaborateurs, le britannique John Clarke et l'américain John Martinis, pour leurs travaux portant sur... « l'effet tunnel macroscopique en mécanique quantique et la quantification de l'énergie dans un circuit électrique ».
Même si l'énoncé peut paraître obscur au premier abord, je gage, dans cette sélection du jour, de lui donner toutes ses lettres de noblesse (ou « Nobelesse » devrais-je dire ?).

Il y a un siècle, en 1926 pour être précis, un certain Erwin Schrodinger allait révolutionner la physique en proposant une description du monde microscopique, totalement incroyable. Il proposa que les particules se comportent comme des ondes. Il écrivit une équation d'onde pour les atomes. Pour Schrodinger, ceux-ci possédaient donc des propriétés assez semblables aux vagues sur un lac.
En effet, si des vagues violentes, lors d'une tempête, heurtent un quai, une certaine partie d'entre elles, par des jeux d'interférences et de diffusion, vont réussir à pénétrer dans le port, malgré la présence de la protection. Certains bateaux sentiront l'effet de petites vagues qui auraient réussi à s'introduire dans le port de plaisance, derrière le quai. Pour les atomes, c'est la même chose, et cet effet porte le nom d'effet tunnel.

Imaginez un enfant lançant une balle contre un mur. Il aura beau la lancer cent fois, celle-ci rebondira à chaque fois, puis lui reviendra dans la main. Si la balle était quantique, il pourrait arriver, disons une fois sur cent, que la balle passe à travers le mur, façon « passe-muraille » de Marcel Aymé. Un peu à la manière de certaines vagues qui passent de l'autre côté du quai par le truchement des effets de diffusion. C'est du moins ce que prévoyait théoriquement l'équation de Schrodinger… prédiction qui fut confirmée par l'expérience quelques années plus tard.

Les auteurs nobélisés aujourd'hui sont allés encore plus loin, et ont réussi à appliquer cet effet à une collection d'atomes, permettant ainsi de tester des courants supraconducteurs, alors même que le câble conducteur était coupé. Le courant passait par effet tunnel. Les applications devenaient infinies. Tout pouvait désormais passer partout. Ils venaient de faire entrer le monde surréaliste imaginé par Schrodinger dans le monde réel, macroscopique. Si l'on devait résumer les travaux de ces chercheurs pour le repas de ce soir en famille : ils avaient rendu le monde classique quantique, et vice-versa. Ils avaient engendré un passe-muraille.

Depuis, les transistors modernes reposent sur des effets quantiques, les microscopes à effet tunnel se multiplient, et, surtout, la recherche et le développement de l'ordinateur quantique sont devenus une part extrêmement active, où se mêlent des intérêts technologiques industriels et financiers colossaux. Pour reprendre les mots du jury Nobel, ils ont « ouvert la voie au développement de la prochaine génération de technologies quantiques, notamment la cryptographie quantique, les ordinateurs quantiques et les capteurs quantiques ».
Nous sommes encore très loin d'avoir sous la main un objet macroscopique de la taille d'un ordinateur, qui serait capable d'exploiter des effets aussi incroyables que l'effet tunnel, le domaine n'en est qu'à ses premiers balbutiements. Mais c'est très encourageant. Encore bravo à ces explorateurs modernes ! Je vous laisse désormais relire l'énoncé du prix afin de vous rendre compte que vous le comprenez désormais un peu mieux. Ou du moins, je l'espère !

Il est important de remarquer que Michel Devoret est un produit de l'excellence académique française. Formé à l'école nationale des télécommunications de Paris (ENST) dans les années 70, il effectue sa thèse à l'université d'Orsay, puis travaille au CEA de Saclay, avant d'effectuer un postdoc à l'Université de Berkeley, en Californie, où il fera cette découverte majeure. Il rentre ensuite à Saclay pour y fonder son propre groupe. Âgé de 72 ans, il est désormais professeur émérite à l'Université de Yale, et directeur scientifique au Google Quantum AI laboratory. Cette branche de Google se concentre sur l'élaboration d'un ordinateur quantique. D'une manière plus générale, saluons donc, au travers de cette sélection du jour, le courage et l'abnégation de nos chercheurs français, qui atteignent aussi régulièrement les cimes du Nobel depuis maintenant 125 ans.