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Nayib Bukele : le Président salvadorien est-il une menace pour la démocratie ou un sauveur pour son peuple ?

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 15/03/2024 - Photo : Une femme tient une pancarte avec un message contre le gouvernement de Nayib Bukele à San Salvador, au Salvador, le 16 janvier 2022. (Juan Carlos Caos, Shutterstock)

Nayib Armando Bukele Ortez est un ovni politique. À l'image de l'Argentin Milei, il est le signe de profonds changements politiques en Amériques Centrale et Latine. Il vient d'être réélu en février président du Salvador, dès le premier tour, avec presque 85 % des voix ! Élu à 37 ans en 2019, il avait obtenu 53 % des suffrages là aussi dès le premier tour – sans appartenir aux deux grands partis qui s'opposaient depuis la fin de la guerre civile en 1992… Les urnes démontrent son immense popularité et sa victoire a été célébrée par des scènes de liesse populaire. La raison est simple : il a fait de la lutte contre l'insécurité son objectif central. Et la réussite est éclatante au point où ce petit pays d'Amérique Centrale est observé de près.

Car la vie quotidienne était un véritable enfer pour les Salvadoriens à son arrivée au pouvoir. En 2019, on décomptait un taux de meurtres de 38 pour 100 000 habitants. En 2023, cette moyenne annuelle est passée à 2,4 pour 100 000… C'est un chiffre qui est en-dessous de la statistique américaine et le fossé est même béant si on le compare avec le taux de meurtres au sein des communautés noires ou hispaniques états-uniennes. Bukele a rompu avec la politique précédente qui consistait à négocier avec les gangs et garder tant bien que mal le contrôle du pays. Les affrontements entre les milices criminelles avaient pris des allures de guerre civile. Les plus puissantes, comme les MS-13 et Barrio 18, régnaient sur le pays, transformant les rues en champs de bataille sanglants. C'est toute la jeunesse salvadorienne qui était prise en otage et les gens vivaient cloîtrés.

La politique de Bukele a été radicale. Il a déclaré la guerre aux gangs en décrétant un régime d'exception en mars 2022. À la fin juin 2023, on décomptait 70 000 arrestations sans mandat judiciaire. Les forces armées et de police se partagent les zones du pays pour interpeller toute personne arborant des tatouages sur le visage – signes d'appartenance à un gang. Il suffit de la dénonciation de deux citoyens (payant leurs impôts) pour procéder à une arrestation. Des prisons flambant neuves ont été creusées aux flancs des collines et dans la jungle pour y jeter les personnes convaincues d'activité criminelle. La dernière ouverte en janvier 2023 peut accueillir 40 000 détenus dans des conditions très dures. Plus de 1 000 pour 100 000 habitants : c'est la proportion de Salvadoriens en prison aujourd'hui.

Alors bien sûr, les ONG internationales protestent et accusent Bukele de populisme, voire d'autoritarisme. Il a en effet obtenu en 2021 une réforme de la Constitution pour pouvoir se représenter (la règle antérieure imposait d'attendre deux mandats). Cette décision provient de la Cour suprême de son pays. La presse de gauche – comme le quotidien espagnol El País – s'indigne d'un retour aux « heures les plus sombres d'Amérique Latine ». L'hostilité des ONG internationales vient sans doute des résultats extraordinaires obtenus pour « terroriser les terroristes ». Cette politique va à l'encontre de leur doxa qui recommande de pacifier un pays par la « justice sociale » rappelle Wilfred Reilly (voir l'article du National Review en lien). Bukele a été clair : il ne peut y avoir de « justice sociale » tant que les criminels font la loi dans la rue. Au grand dam des ONG et d'observateurs occidentaux qui se décrivent comme « humanistes », mener une guerre sans pitié aux criminels fonctionne…

Nayib Bukele est un personnage atypique en butte à la méfiance des autorités catholiques. Ses parents sont d'origine palestinienne. Son père, converti à l'islam est un imam sunnite alors que sa mère est restée chrétienne. Lui-même serait chrétien, un protestant évangélique… Si la majorité des Salvadoriens sont catholiques, les églises protestantes ont fait une percée fulgurante (avec près d'un tiers de la population aujourd'hui). Les autorités ecclésiastiques ont critiqué sa politique radicale toute focalisée sur le combat contre l'insécurité. Là encore, si on le compare avec Javier Milei en Argentine, la réaction du terrain a été tout autre. Les missionnaires et prêtres sont nombreux à parler de « miracle » : leurs ouailles revivent… Les gens peuvent sortir dans la rue sans craindre pour leur vie, les jeunes hommes aux visages noircis par les tatouages ont disparu de leurs quartiers.

Mais le régime d'exception ne peut pas durer éternellement. D'autant que cette politique implique un risque réel de voir enfermés des suspects innocents. La situation économique reste par ailleurs très fragile et les familles brisées par les stigmates de la violence. Relever le pays prendra du temps — une génération disent les missionnaires, pour reconstituer des forces vives. L'éducation des enfants, en particulier, est une priorité qui ne peut attendre la fin de la guerre contre le crime. Mais de l'avis des Salvadoriens qui ont plébiscité Bukele, les mesures radicales étaient tout simplement incontournables…

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Bukele's popularity is no mystery
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1 commentaire
Le 16/03/2024 à 12:14
la criminalité était de 103 en 2015, puis de 38 en 2019 , pour chuter à 2,4 comme vous le citez dans votre article . C'est l'un des meilleurs taux de l'Amérique centrale. Ces méthodes sont dures, mais efficaces et on comprend sa réélection. Evidemment il en fait grincer des dents, certains ! Ces gens se disent proches du peuple mais en réalité en sont très éloignés. Le président argentin souhaite mettre en place une politique similaire et déjà les premières améliorations sont visibles chez lui aussi. Espérons qu'ils puissent continuer .
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