Sciences

Le miracle du carbone... ou une histoire d'échelle

Par Janus Maat - Publié le 28/02/2024 - Image d'illustration : Shutterstock.

Je vais vous conter une histoire. Ou plutôt 3 histoires. Celle d'une échelle, d'un homme têtu et d'un four à atomes. Imaginez-vous au pied d'une échelle, faite de barreaux admirablement bien espacés et solides. Chacun arborant un signe gravé en lettre capitale : « H » , « He », « Li », « Be », « B », « N », « O ». Plus haut, vous ne distinguez plus les lettres dans le brouillard. Soudain, un flash ! Celui du tableau périodique des éléments dans la salle de classe de collège. Mais bien sûr ! Ce sont les premières lettres des éléments chimiques Hydrogène, Hélium, Lithium, Béryllium, Bore, Nitrogène (Azote), Oxygène…

Vous commencez votre ascension, le premier barreau, H, est facile à agripper, tout comme le second. Les barreaux Li et Be, ainsi que B ou N ne réclament pas plus d'efforts. Et soudain, impossible de monter plus haut ! Il manque un barreau, là où devrait se trouver le carbone. Vous restez bloqué, sans espoir de voir un jour de l'oxygène. Vous venez de plonger au cœur d'une étoile, en suivant les étapes de la constitution des atomes.

Une étoile, c'est un combat entre d'une part la gravité qui tend à confiner les noyaux des atomes qui la constituent, et la pression nucléaire qui ne rêve que d'une chose, c'est de faire exploser le ring. Dans les couches externes, la gravité donne aux noyaux d'hydrogène la force suffisante pour fusionner et former l'hélium, et cette fusion libère de l'énergie sous forme thermonucléaire. Plus profondément dans l'étoile, la gravité est telle que les noyaux d'hélium fusionnent à leur tour en Béryllium. Plus profondément encore, l'hélium voudrait fusionner avec le béryllium pour donner du carbone. Malheureusement, l'énergie à l'état naturel du carbone est trop faible pour que cela soit possible, et le béryllium se désintègre en des barreaux d'échelles plus bas avant même d'avoir pu rencontrer un noyau d'hélium. C'est la raison pour laquelle vous êtes resté coincé au milieu de l'échelle. Mais ça, c'était avant 1953.

C'est alors qu'entre sur le ring un arbitre de génie : Fred Hoyle, astrophysicien à Cambridge. Il conçoit la science de manière anthropique : puisque l'Homme et son environnement sont carbonés, notre propre existence nécessite la présence d'un barreau C. Mais d'où vient-il ? Si l'état naturel du carbone n'est pas assez énergétique, trouvons théoriquement, où doit se situer ce barreau afin que l'ascension puisse progresser. Nous appelons cet état du carbone « anthropique » C*. Hoyle, après de longs calculs, conclut qu'il doit être exactement à une hauteur de 7,68 MeV (unité d'énergie typique dans le Soleil), ni plus ni moins, au dessus de l'état naturel du carbone. Légèrement plus haut ou à peine plus bas, et la réaction ne serait pas assez résonnante pour former suffisamment de carbone justifiant de notre existence.

Ce barreau n'existe pas à l'époque. Les plus grands physiciens nucléaires ont étudié en long et en large le spectre du carbone, et le barreau C* n'a encore jamais été observé. Alors Hoyle se rend en Californie, à la rencontre du spécialiste mondial des états nucléaires excités, William Fowler. Hoyle insiste. Hoyle est têtu. Très têtu. Il répète à longueur de journée à Fowler et à son assistant, Edwin Salpeter : « si l'Homme existe, C* existe, c'est imparable ». Une semaine passe, deux semaines... Au bout d'un mois, la nouvelle tombe. À la surprise générale, le barreau C* existe bel et bien ! Il vient d'être observé par Fowler et Salpeter à une énergie exactement égale à 7,68 MeV. Hoyle éructe. Il s'en retourne à Cambridge, satisfait. Une fois le C* créé, celui-ci se désintègre naturellement en un barreau C, très solide pour sa part. Le béryllium se transforme donc en carbone dans le coeur des étoiles, en passant par l'intermédiaire C* imaginé par Hoyle.

Et maintenant que ce nouveau barreau a été découvert, l'ascension peut reprendre, avec cette chance incroyable que le carbone quant à lui évite de justesse le sort du béryllium pour la raison inverse : il n'y a pas de barreau O*, et donc pas de fusion entre hélium et carbone possible. Le carbone reste donc stable et suffisamment abondant pour que la vie carbonée apparaisse : Un autre petit miracle. Il n'est pas clair que le principe anthropique ait vraiment été la motivation première de Hoyle. Cependant, les années suivant la découverte du « chaînon manquant », Fred Hoyle a longuement insisté que c'était la présence de la vie sur terre qui avait été son moteur, ce qui en ferait la première prédiction scientifique basée sur un principe métaphysique : une physique déterminée par l'existence de l'Homme.

Au fond, la motivation première a peu d'importance. La vraie découverte, qui vaudra à Fowler le prix Nobel, a été la compréhension des mécanismes intimes qui se jouent au cœur des étoiles, et la prédiction exacte des constituants de l'Univers, à un niveau de précision inégalé ! C'est le succès de la nucléosynthèse stellaire.

La sélection
Comment les atomes forment et déforment les étoiles
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1 commentaire
Jean-Marie
Le 29/02/2024 à 11:01
Très intéressant pour les nuls.
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