
Michel Platini, une vie volée
Le football est organisé en plusieurs niveaux. Tout en haut, la FIFA (Fédération Internationale de Football Association), basée en Suisse, contrôle les règles du jeu et organise la Coupe du monde. À l'échelle continentale, chaque zone a sa confédération, l'UEFA en Europe, la CONMEBOL en Amérique du Sud, la CAF en Afrique, etc. L'UEFA est donc l'instance qui gère les compétitions européennes de clubs (Ligue des champions, par exemple) et de pays (championnat d'Europe, ligue des nations). À l'échelle nationale, chaque pays a sa fédération, qui gère le football sur son territoire. Ces fédérations sont membres de leur confédération et, par ricochet, de la FIFA. Tout ce système est donc lié et interdépendant. Michel Platini, triple Ballon d'Or (plus haute récompense individuelle) et capitaine de la France championne d'Europe 1984, entre dans ces sphères après sa carrière de joueur. En 1992, il copréside le comité d'organisation de la Coupe du monde 1998, puis il devient conseiller spécial de Sepp Blatter, président alors nouvellement élu de la FIFA.
Pour ce poste, un contrat écrit fixait sa rémunération à 300 000 CHF/an (francs suisses). Mais les deux affirment qu'en réalité, ils s'étaient entendus oralement sur un salaire bien plus élevé, à savoir 1 million CHF/an. Pourquoi un accord oral ? Selon Platini, parce que la FIFA ne disposait pas à ce moment des liquidités suffisantes pour assumer un tel salaire, et que Blatter lui aurait promis de solder la différence plus tard. Ce contrat aurait donc été une forme de compromis provisoire entre eux. Résultat, à la fin de sa mission en 2002, Platini n'a reçu que la partie officielle. Près de dix ans plus tard, en janvier 2011, il adresse à la FIFA une facture de 2 millions CHF. Blatter la valide, et la FIFA effectue le paiement le 1er février 2011.
Nous allons désormais revenir dans le temps et analyser la période 2002–2011. Après son poste de conseiller, Michel Platini poursuit sa carrière dans les instances. En 2002, il entre au Comité exécutif de l'UEFA, puis représente l'Europe au Comité exécutif de la FIFA. En 2007, il est élu président de l'UEFA, après une élection serrée face au président sortant (en place depuis dix-sept ans), et avec le soutien public de Sepp Blatter (perçu par certains comme une ingérence). En 2011, il est plébiscité et réélu sans opposition. Sa vision était claire : un football plus humain et populaire. Il renforce les aides aux petites fédérations, ouvre une nouvelle voie d'accès à la Ligue des champions pour les champions nationaux issus de « petits pays », remodèle la coupe UEFA pour créer l'Europa League (2009) et la Youth League (2013) (ligue des champions pour les équipes de jeunes). Il lance aussi le fair-play financier pour tenter d'encadrer les excès du marché. Fidèle à son idée d'un football « artisanal », il refuse la vidéo et préfère multiplier les arbitres assistants. Il reste une icône du football « d'avant », c'est-à-dire pré arrêt Bosman (dont l'affaire Lassana Diarra est le prolongement).
À ses côtés, un certain Gianni Infantino. Juriste de formation, il gravit les échelons de l'UEFA dès 2000, jusqu'à devenir son bras droit en 2009 (secrétaire général). Mais là où Platini veut protéger la pyramide du football, donner une chance aux clubs et aux nations modestes, rétablir un certain équilibre, Infantino rêve d'un football plus mondialisé, d'un produit premium, qui génère encore plus d'argent et de prestige.
Fin 2015, tout bascule. Un mois avant l'élection présidentielle de la FIFA, Platini est suspendu par la Commission d'éthique pour le fameux paiement de 2 millions CHF, accusé d'être un avantage indu. Il est neutralisé, écarté du scrutin. Infantino, quant à lui, se présente à la présidence de la FIFA : il est élu dans la foulée. Dès lors, sa vision se réalise : arbitrage vidéo, élargissement de la Coupe du monde à 48 équipes, création d'une Coupe du monde des clubs (très controversée), opacité croissante des décisions, scandales à répétition, alliances stratégiques avec le Qatar, l'Arabie saoudite… Certains y voient une manigance, comme le suggère Daniel Riolo dans l'After Foot (vidéo en sélection). Platini lui-même porte plainte en 2021 contre Infantino, pour trafic d'influence et corruption. La procédure, transférée ensuite en Suisse, est toujours en cours… Dès 2016, Infantino est éclaboussé par les Football Leaks pour ses rencontres secrètes avec le procureur fédéral suisse Michael Lauber (qui démissionnera), et poursuivi. L'affaire sera finalement classée sans suite en quelques mois.
Platini n'est pas exempt de tous reproches. On note entre autres son vote pour le Qatar en 2010, après un déjeuner à l'Élysée avec Nicolas Sarkozy et des représentants qataris... un épisode étrange et jamais totalement élucidé. Mais une chose demeure : son éviction brutale a ouvert la voie à Infantino, et permis à son ambition de transformer de manière durable et irréversible le football mondial. Le jugement du 28 août 2025 met un terme à dix ans de calvaire judiciaire : après deux acquittements, la justice suisse renonce à tout recours, le réhabilitant totalement. Trois procès pour conclure qu'il n'y avait rien, un acharnement difficile à comprendre …