Histoire
Les révolutions démographiques et politiques vont de pair
Il y a près de 250 ans, deux régions du monde ont connu une dépression démographique majeure : la Nouvelle Angleterre (région américaine alors colonie de la couronne britannique) et la France (alors première puissance européenne). S’ensuivront deux révolutions qui changeront la face du monde. Or, aujourd’hui, les prémices d’une crise démographique globale sont visibles : les projections de l’ONU montrent que la population mondiale devrait atteindre son pic vers 2100 pour connaitre ensuite une chute. Certains s’en félicitent, d’autres s’en inquiètent. Tomas Pueyo, franco-espagnol, diplômé de Centrale et de Stanford (USA), considère que cette dépression démographique serait une catastrophe évitable (voir son essai en lien). Ayant étudié en profondeur les précédents du 18ème siècle, il expose les raisons d’un tel bouleversement et en tire les conséquences pour notre monde d’aujourd’hui.
L’économie n’explique pas la transition démographique
Jusqu’à récemment, il était communément admis que la baisse de la fertilité était due à une équation économique : on fait moins d’enfants quand le rapport bénéfice / coût d’en avoir devient moins attractif. L’urbanisation et la virtualisation du travail auraient diminué le besoin de main d’œuvre alors que le coût de l’éducation découragerait les parents potentiels. Si ces explications étaient valables, les taux de fertilité en Nouvelle Angleterre et en France au 18ème siècle auraient dû chuter avec la révolution industrielle, quand les populations ont commencé de migrer en masse vers les villes et que le mode de vie s’est prodigieusement amélioré grâce aux richesses accumulées. Et puisque la révolution industrielle s’est enclenchée au début du 19ème aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ces deux pays auraient dû voir leurs taux de fertilité tomber avant les autres… Ce n’est pas le cas : la première baisse significative s’est produite dès la moitié du 18ème siècle en France et en Nouvelle Angleterre – pourtant bien plus pauvres que les premiers de cordée de la révolution industrielle (la France n’atteindra le PIB par tête de l’Angleterre de 1750 qu’en 1850 !). De plus, la transition démographique en Angleterre n’interviendra qu’entre 1870 et 1920, soit un siècle après le démarrage de la révolution industrielle. Si la théorie de la primauté économique était solide, on aurait vu la baisse de la fertilité intervenir d’abord en Angleterre et aux Pays-Bas. Sans doute la baisse de la mortalité infantile grâce aux progrès de l’hygiène a-t-elle joué un rôle. Mais d’habitude (comme pour le « baby boom » du 20ème siècle), c’est la mortalité qui tombe d’abord avant que la fertilité ne suive le même chemin. Dans la France de 1750, les deux taux se sont écroulés de concert. Pourquoi ? S’y serait-on moins marié ? Non : le célibat en France, stable jusqu’à la Révolution, a au contraire baissé ensuite. L’âge moyen des mariés n’a augmenté qu’au 19ème siècle. C’est donc le nombre d’enfants par foyer qui a baissé… Comment l’expliquer ?
Les liens avec les révolutions politiques
C’est en Nouvelle Angleterre que la guerre d’indépendance américaine a démarré en opposition à un pouvoir royal distant géographiquement. La Révolution française a suivi contre un pouvoir royal distant socialement. Dans les deux cas, c’est l’ordre établi qui était visé. Les idées de séparation entre l’Église et l’État, et de souveraineté populaire, ont lentement germé après l’invention de l’imprimerie et la révolution culturelle de la Renaissance. Il semble qu’un affaiblissement majeur de l’Église catholique en France ait joué un rôle central dans la chute démographique. Tomas Pueyo a observé deux phénomènes : moins de dons à l’Église sur les testaments et baisse de la densité du clergé dans le pays. Surtout, cette évolution n’a pas été uniforme : Pueyo observe au contraire des fossés grandissants entre les régions, certaines, comme la Provence, montrant une évolution inverse en réaction. Le rejet des institutions a d’abord visé l’Église tout en divisant profondément le pays… Les régions limitrophes de la France ont suivi la même évolution. Même phénomène en Nouvelle Angleterre où l’on observe notamment la chute de l’assiduité au culte.
Le triomphe du libéralisme : les révolutions politique et sexuelle
Tomas Pueyo arrive à la conclusion que c’est un bouleversement culturel, à savoir l’influence des idées libérales, qui a provoqué les révolutions démographiques et politiques du 18ème siècle. La révolution industrielle a agi comme un accélérateur, non comme un déclencheur. D’ailleurs, le reste de l’Europe ne s’est révoltée contre ses monarques qu’au 19ème siècle (1848). À l’opposé, de nos jours, les taux de fertilité élevés en Israël et dans le monde musulman sont à mettre en lien avec leur forte religiosité…
Il n’y a donc pas un lien fatal entre progrès économique et dépression démographique. Un monde plus attaché à son identité culturelle, voire religieuse, conclut Tomas Pueyo, est un monde plus fertile… Et la fertilité est un gage de stabilité politique à une époque de forte pression migratoire.
L’économie n’explique pas la transition démographique
Jusqu’à récemment, il était communément admis que la baisse de la fertilité était due à une équation économique : on fait moins d’enfants quand le rapport bénéfice / coût d’en avoir devient moins attractif. L’urbanisation et la virtualisation du travail auraient diminué le besoin de main d’œuvre alors que le coût de l’éducation découragerait les parents potentiels. Si ces explications étaient valables, les taux de fertilité en Nouvelle Angleterre et en France au 18ème siècle auraient dû chuter avec la révolution industrielle, quand les populations ont commencé de migrer en masse vers les villes et que le mode de vie s’est prodigieusement amélioré grâce aux richesses accumulées. Et puisque la révolution industrielle s’est enclenchée au début du 19ème aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ces deux pays auraient dû voir leurs taux de fertilité tomber avant les autres… Ce n’est pas le cas : la première baisse significative s’est produite dès la moitié du 18ème siècle en France et en Nouvelle Angleterre – pourtant bien plus pauvres que les premiers de cordée de la révolution industrielle (la France n’atteindra le PIB par tête de l’Angleterre de 1750 qu’en 1850 !). De plus, la transition démographique en Angleterre n’interviendra qu’entre 1870 et 1920, soit un siècle après le démarrage de la révolution industrielle. Si la théorie de la primauté économique était solide, on aurait vu la baisse de la fertilité intervenir d’abord en Angleterre et aux Pays-Bas. Sans doute la baisse de la mortalité infantile grâce aux progrès de l’hygiène a-t-elle joué un rôle. Mais d’habitude (comme pour le « baby boom » du 20ème siècle), c’est la mortalité qui tombe d’abord avant que la fertilité ne suive le même chemin. Dans la France de 1750, les deux taux se sont écroulés de concert. Pourquoi ? S’y serait-on moins marié ? Non : le célibat en France, stable jusqu’à la Révolution, a au contraire baissé ensuite. L’âge moyen des mariés n’a augmenté qu’au 19ème siècle. C’est donc le nombre d’enfants par foyer qui a baissé… Comment l’expliquer ?
Les liens avec les révolutions politiques
C’est en Nouvelle Angleterre que la guerre d’indépendance américaine a démarré en opposition à un pouvoir royal distant géographiquement. La Révolution française a suivi contre un pouvoir royal distant socialement. Dans les deux cas, c’est l’ordre établi qui était visé. Les idées de séparation entre l’Église et l’État, et de souveraineté populaire, ont lentement germé après l’invention de l’imprimerie et la révolution culturelle de la Renaissance. Il semble qu’un affaiblissement majeur de l’Église catholique en France ait joué un rôle central dans la chute démographique. Tomas Pueyo a observé deux phénomènes : moins de dons à l’Église sur les testaments et baisse de la densité du clergé dans le pays. Surtout, cette évolution n’a pas été uniforme : Pueyo observe au contraire des fossés grandissants entre les régions, certaines, comme la Provence, montrant une évolution inverse en réaction. Le rejet des institutions a d’abord visé l’Église tout en divisant profondément le pays… Les régions limitrophes de la France ont suivi la même évolution. Même phénomène en Nouvelle Angleterre où l’on observe notamment la chute de l’assiduité au culte.
Le triomphe du libéralisme : les révolutions politique et sexuelle
Tomas Pueyo arrive à la conclusion que c’est un bouleversement culturel, à savoir l’influence des idées libérales, qui a provoqué les révolutions démographiques et politiques du 18ème siècle. La révolution industrielle a agi comme un accélérateur, non comme un déclencheur. D’ailleurs, le reste de l’Europe ne s’est révoltée contre ses monarques qu’au 19ème siècle (1848). À l’opposé, de nos jours, les taux de fertilité élevés en Israël et dans le monde musulman sont à mettre en lien avec leur forte religiosité…
Il n’y a donc pas un lien fatal entre progrès économique et dépression démographique. Un monde plus attaché à son identité culturelle, voire religieuse, conclut Tomas Pueyo, est un monde plus fertile… Et la fertilité est un gage de stabilité politique à une époque de forte pression migratoire.