Les domaines skiables sont-ils condamnés à reculer ?
Écologie

Les domaines skiables sont-ils condamnés à reculer ?

Par Louis Daufresne - Publié le 11/11/2022
« La montagne, ça vous gagne ! » Si la phrase est bien connue, le slogan ne va plus de soi, tant il rappelle l’euphorie d'une autre époque, où balafrer les sommets de remontées mécaniques ne dérangeait pas grand-monde. Il fallait emmener le citadin tout là-haut pour l'en faire glisser à grand prix. Absurde ? Peut-être. Antiécologique, assurément. Mais la neige était alors abondante et tapissait aussi naturellement les pentes que les dividendes boursiers inondaient les poches. On skiait furieusement en s’appropriant l’espace comme dans les pubs pour 4x4 où le bolide fonce à travers la nature pour l'étreindre sauvagement, comme s'il la dévorait avec ses crocs. Cet esprit-là, un rien blingbling, est révolu. Par la force des choses.

La saison des sports d’hiver commence dans un mois. Le problème de l’or blanc, c’est qu’il n’y a pas d’OPEP pour gérer les pics, les approvisionner en barils. Et la poudre se fait attendre. Octobre fut clément, chaud même. Du jamais vu en France, nous dit-on. Là-dessus, novembre est arrivé avec son lot de perturbations. La neige est tombée en moyenne montagne mais en faible quantité et, avec le retour de la douceur, elle fond déjà. « Le début de saison s’annonce ainsi compliqué », observe le météorologue Guillaume Woznica, y compris pour les usines à ski perchées comme Val Thorens (Savoie), la plus haute station d’Europe (2300m), qui prévoit pourtant d’ouvrir dès le 19 novembre.

On annonce un hiver plus froid. Ce qui serait une bonne nouvelle si les précipitations étaient suffisantes. Mais Guillaume Woznica poursuit : « Le temps sera plus sec que la normale en décembre avec un anticyclone positionné sur le proche Atlantique. Même constat le mois suivant avec des hautes pressions s’étendant jusqu’en Europe centrale, avec probablement un froid plus marqué en début d’année. Février ressemblera quant à lui au mois de décembre. » Ce temps sera « propice aux inversions de températures : ainsi, les nuits seront plus froides dans les vallées qu’en altitude », indique l’expert. Bref, le scénario noir se profile pour l’or blanc : sec, pas assez de neige, et quand même trop doux, donc dangereux.

Car les pics sont en souffrance. À La Plagne (Savoie), la station la plus fréquentée du monde (2,5 millions de skieurs/journée), on va démonter les installations sommitales à 3250m d’altitude, « sur l’autre versant aménagé du sommet phare de Bellecôte », écrit Le Dauphiné. Voilà des remontées qui descendent, et pas d’un peu : 200m ! Ce qui ouvre un abîme de perplexité. Car avant, la neige manquait en bas des pistes. Maintenant, c’est le haut qui se rétrécit et fait reculer l’empire du métal.

L’image de La Plagne en souffrira-t-elle ? Oui si on continue d’attirer le consommateur avec des chiffres « qui font tourner la tête », écrit Le Dauphiné, en particulier le kilométrage de pistes, principal argument de vente. Cet indicateur est pourtant faible. La qualité d’un domaine dépend moins de la longueur de ses itinéraires que de la variété de sa difficulté et de l'orientation de ses versants.

Pour La Plagne, Le Dauphiné observe que cette opération « va rendre à la nature 55 hectares ». Voilà un argument vertueux dont va peut-être s’emparer la Compagnie des Alpes engagée « sur les rails d’une transition d’un autre genre », écrit le quotidien. L’homme ne se retire pas de bon cœur, et il ne le fait point par sursaut écologique. Si les glaciers ne se liquéfiaient pas et que les éboulements ne menaçaient pas les skieurs, il continuerait comme avant. La sécurité – et donc le risque en termes d'image – demeure le référent de l'action humaine. Malgré tout ce qu’on peut raconter.

Aux mauvaises conditions météorologiques s’ajoute le coût du prix de l’énergie. Déjà esquinté par deux ans de Covid, le ski voit les éléments se liguer contre lui : « Toutes les stations ouvriront mais il va tout de même falloir s’adapter », relève Guillaume Woznica. L’une va écourter sa saison en « fermant le 26 mars prochain plutôt qu’en avril ». Une autre « va réduire la vitesse des remontées mécaniques », les équipements étant fort gourmands en électricité et en gaz. Une autre encore « fermera du lundi au mercredi, en dehors des vacances scolaires ». D’autres pour ne pas dire la plupart vont « augmenter le tarif des forfaits d’environ 5 % ».

Le temps est peut-être venu d’avoir « le courage de tourner la page », comme dans le village de Saint-Firmin (Hautes-Alpes), aux portes de la vallée du Valgaudemar, dans les Écrins. Mountain Wilderness vient d’y démanteler un téléski, abandonné à la rouille depuis quinze ans. Ses huit tonnes d’acier sont promises au ferrailleur. Le paysage va recouvrer sa splendide inutilité. Cette opération s'inscrit dans le cadre de la campagne « Installations obsolètes », lancée par l'association en 2001. Il s'agit de dépolluer les sites montagnards en concertation avec les autorités locales. Selon l’ONG, au moins 3000 installations pourrissent dans nos massifs.

Mais ce sera beaucoup plus si le ciel cesse de voir la vie en blanc.
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