Sport

Les « Jeux olympiques du dopage » : la révolution qui guette le sport

Par Martin Dousse. Synthèse n°2516, Publiée le 30/06/2025 - Photo : Les « Enhanced Games » (littéralement : jeux améliorés) sont motivés par une idéologie ouvertement transhumaniste.
Crédits : Shutterstock.
Financés par des milliardaires adeptes de transhumanisme et programmés en 2026, les « Enhanced Games » proposeront une copie pour le moins polémique des Jeux olympiques. Y participeront des athlètes ouvertement « améliorés » – comprendre dopés – afin de battre un maximum de records. Entre expérimentations médicales douteuses et quête effrénée de performance, ces jeux sont un pied de nez aux compétitions officielles, taxées d'hypocrites. Et un business potentiellement très lucratif…

Vous pensiez que le record d'Usain Bolt sur 100 m était inatteignable ? Les organisateurs des Enhanced Games se sont donné pour objectif de le pulvériser. Et si les capacités du corps humain ne suffisent pas, autant se doper pour y parvenir. Pas si surprenant, compte tenu du profil libertarien des investisseurs qui soutiennent le projet. On y retrouve Peter Thiel, fondateur de Paypal et grand investisseur de Prospera. Christian Angermayer, fondateur de Ribopharma et adepte des psychédéliques, mais aussi George Church, l'homme qui veut ressusciter les mammouths, ou encore Bryan Johnson (voir LSDJ n°2503). Pour eux, ces jeux sont une expérience parmi d'autres menant à effacer la barrière ultime : la mort. L'évènement se trouvait au stade de projet, aujourd'hui il a une date : ce sera entre le 21 et le 24 mai 2026.

La règle de départ est simple : tout ce qu'un médecin peut prescrire aux États-Unis sera autorisé. Cela exclut donc le cannabis, l'héroïne ou l'ecstasy. En revanche, feu vert pour les hormones de croissance, les stéroïdes anabolisants, l'insuline, la testostérone et l'EPO. Des psychostimulants seront également acceptés. Forcément, il y a de l'argent en jeu : « Déverrouiller ce marché permettra de faire affluer des milliers de milliards de dollars », avance l'organisation.
Des épreuves d'athlétisme (100 m, 60 m, 110 m haies) sont prévues. Haltérophilie et natation (50 m et 100 m nage libre et papillon) sont aussi au programme. Attirés par les primes – un million de dollars par record du monde battu –, les premiers cobayes viennent de la natation. Retraité des bassins, le champion australien James Magnussen a joué aux apprentis sorciers avec les stéroïdes. Trop musclé, son premier essai pour battre le record du 50 m a été un piteux échec. Le succès est récemment venu du grec Kristian Gkolomeev (31 ans). Après avoir eu recours à d'autres substances illicites, ce nageur, jamais médaillé dans une compétition internationale, bat en 20 s 89 la marque emblématique de César Cielo établie en combinaison. D'abord moqué, l'évènement commence à être pris au sérieux.

La Fédération internationale de natation a publiquement averti les participants qu'ils seraient bannis des compétitions officielles. Le sport doit rester propre, du moins en apparence. Une hypocrisie, selon Aron Ping D'Souza, créateur de l'évènement. L'Australien d'origine soutient que 40 % des sportifs de haut niveau se dopent (en réalité, 43 % des athlètes avaient eu recours à un produit interdit l'année précédant les championnats du monde d'athlétisme, selon une étude peu consensuelle de 2018). Et l'organisation a invité Jannick Sinner, n°1 du tennis mondial, récemment suspendu pour dopage. Son acte ne serait plus puni, mais encouragé, car ces jeux auraient pris le wagon d'avance, celui qui s'adapte le mieux à l'humanité de demain : « augmentée », « améliorée »... mais toujours humaine pour autant ? Le monde du sport serait à l'aube d'une révolution copernicienne inarrêtable... Pas pour l'Agence mondiale antidopage, qui demande au gouvernement américain d'interdire l'évènement.

L'argument a son poids, mais aussi ses limites. Au-delà de l'athlétisme, le cyclisme est entaché. La natation a eu son lot d'affaires. Sports de combat, sports collectifs, la triche est partout ou presque. Le dopage génétique est aujourd'hui envisageable, et les agences de contrôle semblent toujours en retard. Face à ce constat, autant assumer le fait. Mais l'existence d'une pratique en justifie-t-elle la raison d'être ? D'autant que, sur le plan médical, les Enhanced Games n'offrent pas de garanties, contrairement au cadre sûr qu'ils prétendent offrir. « D'abord, ce n'est pas parce que votre médecin peut vous prescrire un produit que celui-ci est forcément sûr. On l'a vu en Allemagne de l'Est, où les fameux traitements dopants (dans les années 1970-80) ont eu des conséquences délétères très tardives : réduction de l'espérance de vie, augmentation des cancers, apparition de malformations squelettiques, problèmes hormonaux ou problèmes de fertilité, y compris chez la descendance...» explique le professeur Olivier Rabin, de l'Agence mondiale antidopage. De plus, si Gkolomeev est capable d'atomiser en 8 mois son temps des JO de Paris, en gagnant plus d'une demi-seconde, n'est-ce pas une preuve que la lutte antidopage est relativement efficace ?

Prétendant s'inscrire dans la lignée des Lumières, les Enhanced Games se sont inspirés de la Déclaration de 1789, pour proclamer les droits de l'« humain amélioré ». Il s'agit là de « protéger le droit des individus à devenir extraordinaire », car dépasser nos limites actuelles est « un devoir sacré envers le potentiel illimité de l'humanité ». Le dopage n'y est plus une option, mais un dogme. Une idéologie aussi : ouvertement gay, D'Souza a enjoint les participants à réussir enfin leur « coming out » d'athlète amélioré. Libéraliser le dopage permettrait d'abolir les frontières entre hommes et femmes (voir LSDJ n° 2156). Pour l'heure, nul ne sait quel sera le succès réel de ces jeux prévus en 2026 à Las Vegas. Mais aujourd'hui plus que jamais, une révolution transhumaniste guette le monde du sport.

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1 commentaire
François
Le 30/06/2025 à 21:40
Comme pour les derniers Jeux Olympiques de Paris (cérémonies d’ouverture et de clôture), ces jeux constitueraient une vitrine idéologique, mais cette fois en faveur du transhumanisme. Les citoyens résisteront-ils à cette publicité à grands frais ?
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