Sciences

ITER

Par Janus Maat - Publié le 15/06/2023 - Image ITER
1944. Il fait chaud dans ce coin désertique du Nouveau Mexique où sont enfermés les plus grands scientifiques afin de mettre au point la première bombe atomique. Sous la direction ferme et visionnaire de Robert Oppenheimer, chacun s'affaire à sa tache. Cependant, parmi tous les génies réunis à Los Alamos, un chercheur se distingue. Il compose un fort caractère avec une grande gueule à l'accent hongrois. Il sort furieux du bureau d'Oppenheimer, refusant catégoriquement de travailler sur cette « bombinette » comme il l'appelle. Pour lui, la fission nucléaire de l'uranium n'est pas assez puissante. Il préfère s'atteler à mettre au point la vraie bombe, celle inspirée des mécanismes de fusion en jeu au cœur du Soleil, la bombe thermonucléaire. Ce scientifique s'appelle Edward Teller, et sera le père de la bombe H qui explosera le premier novembre 1952, dégageant une énergie équivalente à 1000 fois celle larguée sur Hiroshima.

Tout comme nos centrales nucléaires actuelles mettent en jeu les processus de fission mis en pratique en 1944, le projet ITER promet la maitrise d'une énergie bien plus grande, plus propre et moins dangereuse. Basé sur le principe de fusion (et non fission), tout comme Teller, il copie l'idée du Soleil. Alors que des noyaux d'atomes plus lourds que le fer ont tendance à générer de l'énergie lorsqu'ils fissionnent, c'est le contraire pour les noyaux plus légers. Afin de se représenter ce qu'il se passe quand un noyau lourd d'uranium se scinde en deux, imaginez-vous un ressort entre les mains, c'est le noyau d'uranium. Tendez-le au maximum de vos forces. Si un vilain camarade vient à couper le ressort en son milieu, les deux parties du ressort vont se mettre à osciller méchamment dans vos deux mains. Ces oscillations représentent l'énergie générée par la fission de l'uranium, énergie qui alimente ensuite des turbines.

Figurez-vous que pour les noyaux légers comme l'hydrogène, c'est tout l'inverse ! Si vous parvenez à les rapprocher suffisamment près, ils se collent l'un à l'autre en libérant une énergie 1000 fois plus grande que lors du processus de fission de l'uranium. Ce mariage forcé porte le nom de fusion thermonucléaire. Si dans le cœur du Soleil, la force de la gravité est suffisante pour forcer des noyaux d'hydrogène à s'accoupler, c'est beaucoup plus difficile sur Terre. Les noyaux d'hydrogène (et leurs cousins deutérium ou tritium) sont en effet chargés positivement, et se repoussent comme deux pôles nord d'aimants. Mais si on parvient à les rapprocher suffisamment, une nouvelle force nucléaire, la force nucléaire dite « forte » prend le dessus, et lance son lasso de fiançailles pour récupérer le cousin égaré et s'accoupler. Cette force libère alors une énergie colossale, c'est une façon de fêter des retrouvailles très attendues. C'est ce processus que le projet ITER tente de recréer dans le sud de la France à Cadarache.

ITER signifie International Thermonuclear Experimental Reactor. L'idée ingénieuse de nos chercheurs a été de remplacer le champ gravitationnel du Soleil par un champ électromagnétique fort, en faisant tourner des noyaux légers dans un anneau. Sous forme de plasma très dense, ils sont littéralement piégés, en générant eux-mêmes leur propre champ électromagnétique lors de leur course circulaire infernale. Ils s'autopiègent en quelque sorte. Il est cependant crucial que l'énergie thermonucléaire générée par les fusions dans le plasma soit supérieure à l'énergie nécessaire à faire fonctionner le système. Cette capacité à produire plus qu'à dépenser est appelé facteur q. Si q est supérieur à 1, la centrale produit plus qu'elle ne dépense. Encore sous forme de test, les facteurs les plus récents sont autour de 0.8. On y est presque me direz-vous ? En effet. Mais pour être commercialement viable, nous avons besoin de q=10 ! Il faut en effet tenir compte de bien d'autres dépenses (maintenance, salaires, infrastructures...) pour espérer être rentable. Ce facteur est prévu à l'horizon 2050.

Reste encore à trouver le moyen de récupérer cette énergie. En effet, lors de la fusion, ce sont des neutron-voleurs qui s'emparent de l'énergie. Comme leur nom l'indique, ces particules neutres ne ressentent pas les effets du piège électromagnétique, et filent dans la nature leur énergie thermonucléaire sous le bras. Afin de les dépouiller de leur butin, l'idée est de couvrir de Lithium l'ensemble du réacteur. Cette couche joue le rôle d'amortisseur-filet, le Lithium chauffant lors du choc avec un neutron-voleur, chaleur qui sert alors à faire tourner des turbines. L'avantage est que le choc neutron-Lithium produit des noyaux légers qui sont à leur tour réinjectés dans le plasma. 1 gramme de combustible fournit autant d'énergie que 80 000 tonnes de pétrole, de l'énergie décarbonée, sûre, sans déchet nucléaire ni gaz à effet de serre avec un combustible présent à profusion sur Terre. Le rêve d'Icare à portée de main.
La sélection
Major breakthrough on nuclear fusion energy
BBC
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Valider
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS