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Impasse en Ukraine ? Réactions aux propos surprenants du général Zaloujny dans The Economist

Par Peter Bannister - Publié le 07/11/2023 - Image : le général Valeri Zaloujny, mai 2023. Photo : ArmyInform / Wikimedia Commons

La semaine dernière, le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Valeri Zaloujny a défrayé la chronique avec un entretien d'une franchise surprenante dans The Economist en Grande Bretagne sur la situation au front, accompagné d'une tribune et un essai détaillé. Zaloujny a ouvertement reconnu que la contre-offensive de ses troupes lancée il y a quelques mois n'a pas apporté le succès escompté et que la guerre en Ukraine s'enlise actuellement dans une « impasse ». Selon le général, ce glissement vers une « guerre positionnelle » est dangereuse pour l'Ukraine, qui se trouve inévitablement désavantagée à long terme par rapport à son voisin, beaucoup plus grand et sans scrupules quant à l'envoi des conscrits au champ de bataille malgré des pertes massives. Ces remarques inattendues de Zaloujny ont fait grand bruit à la fois au niveau international et en Ukraine, où Igor Zhovka du bureau du président Zelensky l'a accusé d'avoir inconsciemment fait le jeu de la Russie et d'avoir semé la panique chez les alliés de Kiev. Zelensky lui-même a démenti l'idée d'une impasse (comme par ailleurs Dimitri Peskov du côté de Moscou, mais du point de vue opposé), provoquant des spéculations concernant une éventuelle scission au sein du pouvoir ukrainien.

L'essai de Zaloujny donne plusieurs raisons pour le manque de réussite de la contre-offensive ukrainienne. Il cite d'abord le problème de la supériorité aérienne russe, soulignant qu'au début de la guerre, l'Ukraine n'avait que 40 avions tactiques adéquats. Même si les forces de l'air ukrainiennes ont été considérablement renforcées par du matériel donné par des pays alliés, la domination continue de l'espace aérien par l'aviation russe, ainsi que l'utilisation de drones, rendent problématique l'avancée des soldats de Kiev. Ensuite, Zaloujny parle de la difficulté pour les deux côtés de franchir des champs de mines (s'étalant sur des distances de 15-20 km chez les Russes) ; il note également les stocks russes considérables de munitions conventionnelles et d'équipements de surveillance électronique. Le général ukrainien soulève aussi la question importante des réserves humaines, bien plus abondantes du côté russe. Pour l'instant le Kremlin n'a pas concrétisé cet avantage, évitant la mobilisation générale pour des raisons politiques à la veille de l'élection présidentielle de 2024. L'Ukraine a pourtant ses propres problèmes au niveau de l'entraînement des réservistes, étant donné que ses camps militaires peuvent être ciblés par des missiles et frappes aériennes.

Si son analyse est plutôt sobre, l'entretien de Zaloujny contient également des remarques moins techniques et plus franches. Il compare la guerre en Ukraine à celle des tranchées entre 1914 et 1918, disant que seul un grand bond technologique en avant pourrait débloquer la situation en faveur de Kiev. Le général admet qu'il s'est trompé en pensant que la Russie s'arrêterait devant les pertes humaines (au moins 150 000 soldats) infligées par les forces ukrainiennes, et que l'idée que l'armée ukrainienne puisse effectuer une campagne réussie en Crimée dans l'espace de 4 mois étaient erronée. Actuellement, la situation est bloquée pour les deux côtés : « c'est que nous voyons tout ce que fait l'ennemi, et il voit tout ce que nous faisons. On a besoin de quelque chose de nouveau afin de sortir de cette impasse, comme le poudre à canon inventé par les Chinois ». Ce scénario favorise pourtant la Russie, un « état féodal où la ressource la moins chère, c'est la vie humaine. » La grande menace pour Ukraine, c'est une défaite par l'usure : « tôt ou tard, nous allons découvrir que nous n'avons pas assez de personnes pour nous battre, tout simplement ».

Aveu d'échec ou appel urgent au secours ? Les réactions en Ukraine et à l'étranger face aux propos de Zaloujny ont été mixtes. Lors d'une conférence de presse aux côtés d'Ursula van der Leyen, Wolodymyr Zelensky a reconnu le problème de la supériorité aérienne russe, mais il a répété sa conviction qu'une victoire militaire reste possible (citant les succès ukrainiens inattendus dans les régions de Kharkiv et Kherson en 2022), refusant tout défaitisme. Cependant, les craintes de certains que les propos de Zaloujny ne minent les efforts de Zelensky pour dynamiser le soutien occidental semblent être confirmées par la presse américaine. Même avant la parution de l'entretien avec Zaloujny dans The Economist, un article de Simon Shuster dansTime venait de dépeindre un Zelensky de plus en plus isolé. Dans le Washington Post, pourtant loin des cercles républicains hostiles à l'aide militaire pour l'Ukraine, Jason Willick a appelé aux supporteurs de Kiev de « reconsidérer leur théorie de la victoire » et à être prêts à accepter une impasse dans le conflit. On verra donc dans les prochaines semaines si les propos de Valeri Zaloujny auront comme effet de convaincre l'Occident de l'urgence d'aider l'Ukraine ou de le décourager à un moment où, comment reconnaît Zelensky, le monde est plutôt préoccupé par la situation au Proche-Orient.



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Guerre en Ukraine : le commandant en chef de l’armée ukrainienne reconnaît l’échec de la contre-offensive
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1 commentaire
Andrée
Le 08/11/2023 à 12:35
Merci pour cette analyse
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