Sauver des vies grâce au sang d'un ver marin breton
Un trésor sous le sable. C'est le titre d'une épopée fantastique relatée dans le livre éponyme. Tout commence au début des années 2000 quand Franck Zal, docteur en biologie marine au CNRS, s'intéresse de près à un lombric des mers – un « buzhug » comme on dit en breton. Il n'arrive initialement pas à comprendre comment l'Arenicola marina (ou ver marin arénicole) peut continuer à vivre et à respirer tout en passant six heures d'affilée sous l'eau durant la marée haute. Si la question semble triviale et sans intérêt pour ses collègues du CNRS, elle le taraude suffisamment pour qu'il se penche sur le sang de l'animal. Et là, eurêka ! Il découvre que l'hémoglobine de cette espèce présente de rares propriétés d'oxygénation. Pour la faire simple, la molécule qu'il découvre dans son sang est l'ancêtre de nos globules rouges ; et bien que 250 fois plus petite qu'eux, elle peut transporter quarante fois plus d'oxygène !
Dans son esprit, l'information fait tilt et il envisage immédiatement des applications dans le soin. Afin de pouvoir se dédier totalement à la question, il quitte en 2007 le CNRS pour fonder sa propre société, baptisée Hemarina. Son objectif est d'utiliser les extraordinaires propriétés du sang de l'arénicole pour réoxygéner des tissus, notamment ceux des organes prévus pour la greffe. Comme il l'explique lui-même, pour une transplantation il y a « urgence absolue » ! Sitôt qu'un cœur est retiré de son donneur, les chirurgiens ne disposent que de quatre heures pour le greffer à son receveur. Même chose pour les poumons, les reins etc. selon des délais temporels qui leur sont propres mais restent trop courts pour autoriser un transport sur de longues distances.
Son intuition était juste. Après plusieurs années de travail intense, ses équipes et lui mettent au point une solution synthétisée à partir de l'hémoglobine du lombric. Résultat : en l'appliquant aux organes transplantés, les records de longévité sont battus car l'oxygène préserve les tissus beaucoup plus longtemps – parfois jusqu'à cinq ans ! De premiers essais cliniques peuvent alors avoir lieu. En 2022, Le Parisien rapporte qu'une seconde batterie de tests est menée sur 500 transplantés rénaux. L'opération est un succès et la commercialisation peut commencer.
Au total, Hemarina propose aujourd'hui six applications concrètes :
1. L'HEMO2Life® : le fameux additif aux solutions de préservation hypothermiques des greffons. L'ajout de ce composant dans les réfrigérants conserve les organes beaucoup plus longtemps. Ils peuvent désormais voyager à l'autre bout du globe si besoin.
2. L'HEMOXYCarrier® (ou transporteur d'oxygène universel) : de l'hémoglobine modifiée pour fonctionner de façon cellulaire. Ce produit permet « de rétablir une oxygénation optimale de l'organisme sans effets secondaires ».
3. L'HEMHealing® : un pansement oxygénant pour les plaies hypoxiques chroniques, autrement dit celles qui manquent d'oxygène de façon récurrente – comme les ulcères ou les escarres. Il est applicable à d'autres blessures (voir infra).
4. L'HEMOXCell® : un activateur de croissance cellulaire qui apporte de l'oxygène aux cellules en culture. « Il permet non seulement d'augmenter la vitesse de croissance et la viabilité des cellules en culture, mais aussi d'augmenter les rendements de bioproduction de protéines recombinantes ou d'anticorps monoclonaux sans changer les conditions de culture. »
5. L'HEMDental-Care® : une solution thérapeutique encore en développement mais porteuse de promesses pour traiter la parodontite, première cause de perte de dents devançant les caries.
6. L'HEMBoost® : une substance active anti-oxydante en poudre, applicable aux industries pharmaceutiques mais aussi agro-alimentaires. Elle permet d'améliorer le rendement de la fermentation et d'augmenter la bioproduction en bioréacteur.
Les domaines touchés par ces solutions sont donc variés et les conséquences tangibles. Pour sa qualité, le travail de recherche d'Hemarina a été récompensé du prix Galien le 14 décembre 2023. Selon Franck Zal pour Le Télégramme, il s'agit de « l'équivalent du Prix Nobel de l'industrie pharmaceutique. C'est évidemment un honneur de recevoir cette distinction ».
Ce titre conforte les espoirs placés dans ces innovations et le travail de l'entreprise. Notons que sa renommée a d'ailleurs largement dépassé la Bretagne et les frontières françaises. De Morlaix, dans le Finistère, elle a essaimé à Noirmoutier pour son site de production et s'est progressivement implantée aux États-Unis, au Canada et en Inde. À l'été 2023, les pansements HEMHealing ont prouvé leur efficacité de façon spectaculaire en sauvant la vie d'un grand brûlé à Nantes. Par ailleurs, une greffe d'avant-bras en Inde a démontré toute la puissance de la réoxygénation comme le raconte Franck Zal lui-même en sélection.
Il va sans dire que la fulgurance de cette innovation appelle à la prudence quant aux effets non désirés que le remède miracle pourrait comporter. Si le principe de précaution est une nécessité scientifique, le chercheur fustige toutefois ce qui est selon lui « un frein à l'innovation médicale ». Après tout, devant les bienfaits déjà observés en cette affaire, qui pourrait bien se faire un sang d'encre ?