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Grandes manifestations à Tbilissi - quand le « Rêve géorgien » tourne au cauchemar

Par Peter Bannister - Publié le 20/05/2024 - Crédits photo : Davit Kachkachishvili / ANADOLU / Anadolu via AFP
Un dernier sursaut démocratique en Géorgie ? Les manifestants qui ont investi les rues de Tbilissi voient l'introduction d'une loi « russe » sur les « agents étrangers » comme une menace pour leurs aspirations pro-européennes. L'oligarque Bizdina Ivanishvili, fondateur du parti « Rêve géorgien » au pouvoir, dit que le pays sera dans l'UE en 2030, mais on le soupçonne d'avoir d'autres objectifs.

Depuis quelques semaines, Tbilissi, la capitale de la Géorgie, connaît des manifestations d'ampleur contre le parti au pouvoir, le « Rêve géorgien  ». Ce dernier vient de passer une loi controversée sur les « agents étrangers », projet qui avait été retiré en 2023 suite à des protestations similaires. Le texte prévoit que toute organisation (media, ONG...) dont 20 % du financement vient de l'étranger soit inscrite sur un « registre des agents d'influence étrangère ». Il est calqué sur un principe analogue, en vigueur en Russie. Les manifestants craignent que cette loi ne signe la fin des aspirations de la république du Caucase à rejoindre l'UE. Selon les voix critiques, elle pourrait même conduire à des mesures répressives contre l'opposition.

Si le parti « Rêve géorgien » est accusé de vouloir ramener le pays dans l'orbite de Moscou, les regards se tournent avant tout vers son fondateur Bizdina Ivanishvili. Éminence grise de la vie politique en Géorgie, cet oligarque et ancien premier ministre (2012-2013) possède une fortune personnelle qui équivaut à 70 % du budget national. En 2021, il a dit annoncé se retirer de la vie politique. Il est pourtant clair qu'il contrôle les nominations gouvernementales : le ministre de l'Intérieur est son ancien garde de corps. Sa carrière a commencé en Russie à l'époque de Boris Yeltsine. Il y faisait partie, à l'invitation de l'oligarque Boris Berezovski, des « sept banquiers » derrière le pouvoir présidentiel. En 2012, au moment de l'entrée d'Ivanishvili sur la scène politique en Géorgie, Berezovski a dit que le fondateur du « Rêve géorgien » jouait « selon les règles établies par le gouvernement russe ». Il estimait qu'Ivanishvili allait rompre avec l'hostilité envers Moscou de son prédécesseur — et rival — Mikhail Saakashvili, que le gouvernement géorgien a d'ailleurs emprisonné lors de son retour d'exil le 1er octobre 2021. Les conditions de détention de Saakashvili ont provoqué des protestations de la communauté internationale, alarmée par la détérioration grave de sa santé, même s'il semble selon des photos récentes qu'il soit au moins partiellement rétabli. Répondant par écrit aux questions de la chaîne TV de l'opposition russe en exil Dozhd, Saakashvili a rappelé qu'Ivanishvili avait entrepris des mesures pro-russes dans le passé. Il a notamment fermé une station de télévision géorgienne pour russophones et permis l'établissement en Géorgie d'une filiale de la chaîne russe Spoutnik, sans oublier la libération de personnes détenues pour espionnage au service de Moscou.

Ivanishvili paraît rarement en public, mais il a fait un grand discours anti-occidental le 29 avril, accusant l'opposition ainsi que des puissances étrangères de fomenter une révolution à Tbilissi. L'évolution de sa politique étrangère a été complexe, selon Natalie Sabanadze, ancienne ambassadrice géorgienne en Belgique et au Luxembourg (2013-2021). Elle estime qu'Ivanishvili a essayé dans un premier temps de maintenir de bonnes relations avec la Russie (qui occupe 20 % du territoire géorgien depuis 2008), tout en visant l'adhésion non seulement à l'UE mais aussi à l'OTAN. Il paraît pourtant que cet équilibrisme a cessé après l'invasion de l'Ukraine et qu'Ivanishvili a effectivement choisi le camp russe. Sa position reste paradoxale — malgré son soutien pour la loi sur les « agents étrangers », il persiste à affirmer que la Géorgie sera membre de l'UE en 2030. Beaucoup de commentateurs pensent néanmoins qu'il s'agit d'une ruse électorale avant un scrutin au mois d'octobre, l'accession à l'UE étant soutenue par 89 % de la population selon les sondages. Dans les faits, il est clair que la loi sur les agents étrangers nuirait à la candidature de la Géorgie, comme l'ont souligné plusieurs responsables européens.

Les avis divergent sur la question d'un rôle actif du Kremlin dans les affaires internes de la Géorgie, mais le projet législatif actuel a été ouvertement salué par le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, tout comme par le célèbre politologue Aleksander Douguine, parfois considéré comme le « cerveau » de Vladimir Poutine. Il n'est donc pas surprenant que, pour beaucoup de manifestants à l'heure actuelle, surtout les jeunes, le gouvernement soit en train d'essayer d'imposer une « loi russe ».

La présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, née à Paris en 1952, est une ancienne diplomate française qui a intégré le gouvernement de Saakashvili en 2004 quand elle était ambassadrice à Tbilissi. Très active dans les media occidentaux, alarmée par la « re-soviétisation » de la Géorgie, elle a opposé son veto à la loi sur les agents étrangers, qui a été adoptée (84 votes contre 30) le 14 mai suite à des débats houleux au parlement. Le pouvoir réel de la présidente est pourtant limité, le « Rêve géorgien » disposant d'une majorité suffisante pour balayer son veto. On verra par contre la réaction de la rue, où la détermination des manifestants ne semble pas faiblir.

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