Good Morning, Lénine !
Politique

Good Morning, Lénine !

Par Louis Daufresne - Publié le 29/04/2022
Naguère, de l’autre côté du Mur, on placardait des affiches à la gloire du socialisme. Les visages de Marx, Engels et Lénine côtoyaient des slogans au ton martial, emplis d’une foi révolutionnaire. Le régime donnait ainsi l’illusion d’un prolétariat en marche vers le progrès. L’Occidental s’amusait et s’affligeait à la fois de cette propagande grossière – qui ne convainquait personne. La chute du Mur mit fin à cette industrie du mensonge. Les affiches devinrent des objets de collection. Le film Goodbye, Lenin ! (Wolfgang Becker, 2003) célébra à la manière d’une comédie la fin brutale de cette époque tragique. L’ouest triomphait.

Mais Marx était-il vraiment mort ? Depuis quelque temps, le barbu de Trèves fait son come-back. Excluons les métastases de sa dialectique via le féminisme, le wokisme et tutti quanti. Concentrons-nous sur l’élection présidentielle. Un mot revient sans cesse, celui de clivage. D’ordinaire, on l’utilise pour distinguer la gauche et la droite. Mais ces étiquettes font très vieillies.

Sont-elles encore pertinentes ? On pourrait le croire vu les grandes manœuvres engagées dans chaque camp pour les législatives. Le parti LR assure ainsi qu’il restera « la première force d’opposition » au Parlement ; le PS souscrit au programme de LFI, etc. Cette agitation témoigne juste de l’intensité des calculs faits par les hommes et les partis. Ces acteurs se battent pour des postes, selon les lois d’un marché concurrentiel fixées par le code électoral.

Rien de plus.

C’est un village Potemkine. Front haut, menton relevé, on montre ses muscles, comme le faisaient les hommes fiers et triomphants de l'ère soviétique. Ce discours habille la façade de la politique comme les affiches de propagande s’étalaient sur des immeubles grisâtres.

Le clivage, le vrai, est ailleurs. La gauche et la droite n’en rendent plus compte ou le font imparfaitement. L’info n’est pas nouvelle. Les experts en chirurgie sociale se font les Cassandre du retour de la lutte des classes – qui ne s’avoue pas comme telle, évidemment. Jérôme Sainte-Marie se rendit célèbre avec son Bloc contre Bloc (Cerf, 2019), l’un élitaire, l’autre populaire. Est-ce l’ironie du hasard si « chaque chapitre de ce livre est ponctué d’un exergue tiré du 18 Brumaire de Louis Bonaparte, de Karl Marx, paru en 1852, quatre ans après la révolution de 1848 et deux ans après la parution des Luttes des classes en France », comme l’observe le philosophe Jean-Louis Schlegel dans la revue Esprit ?

Ce clivage s’écrit aussi dans le langage soft et globish des écoles de commerce. David Goodhart distingue les Anywhere des Somewhere dans les Deux clans – la nouvelle fracture mondiale (Les Arènes, 2019). Ceux de Partout font la guerre à ceux de Quelque-Part. Les winners sont les diplômés de l'enseignement supérieur et les losers tous les autres. « Les premiers décident des changements politiques, sociaux et culturels, alors qu'ils sont minoritaires », observe l’économiste britannique.

Cette règle du jeu n’est pas nouvelle non plus. Disons qu’aujourd’hui elle se voit, elle se dit, elle se lit.

Goodhart insiste sur les mécanismes sélectifs entre le haut et le bas. « Une forme d’aptitude humaine, la capacité cognitive analytique – le talent qui aide les gens à réussir les examens et ensuite à manipuler efficacement l’information dans leur vie professionnelle – est devenue l’étalon or de l’estime humaine », juge-t-il.

Les résultats de la présidentielle expriment la dureté et la pureté des rapports sociaux, en dépit de quelques postures paradoxales. Jean-Luc Mélenchon, par exemple, est-il un Anywhere ou un Somewhere ? Dans une précédente LSDJ, nous écrivions qu’il y avait trois blocs : les riches, les nationaux et la diversité. Ce n’est pas un hasard si ce troisième bloc put être convoité par les candidats finalistes incarnant les deux premiers.

En définitive, la politique ne remplit plus sa fonction d’habillage, de légitimation de l’ordre. Le masque tombe, pourrait-on dire ironiquement. On est dans le simulacre. La représentativité nationale en est un – qui cherche à verrouiller le système au profit du bloc élitaire. Marx pense que la politique ne peut exister comme réalité extérieure aux rapports sociaux. Si on s’en tient à son analyse, il n’en reste rien. L’homme cesse déjà de s’y projeter, comme il cessa de se projeter dans la religion. Seules existent des consciences de classe. La bourgeoisie est riche, puissante et organisée. L’argent est à l’esprit ce que la mobilité est au corps : disponible, fluide, illimité. Le prolétariat est l’envers de la bourgeoisie. Il est aujourd’hui patriote ou basané - ou les deux. 
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