Culture
Givenchy chez Christie's : si chic, si moderne, si français
La chaleur aidant, le moche sort ses tripes sur tous les Champs-Élysées du monde, et relègue tristement la décence autant que l’élégance à nos souvenirs de films en noir et blanc. Pour se rafraîchir, on peut aller avenue Matignon, chez Christie’s, où sont ressuscités sous nos yeux les trésors longtemps cachés de fortunes défuntes. Depuis le 8 juin (et en ligne jusqu’au 23) y est « dispersée » la collection d’Hubert de Givenchy (1927-2018), monument de l'excellence française. Le gotha mondial s’y précipite pour ravir les beautés que le grand couturier savait mettre en scène en son domicile parisien, l'hôtel d'Orrouer rue de Grenelle, et en son château du Jonchet, entre Perche et Orléanais.
Quelque 2000 acheteurs de 30 nationalités se disputent 1229 pièces – un chiffre record pour une vente aux enchères en France. On dépassait hier les 100 millions d’euros. Du jamais vu depuis « la vente du siècle » de la collection Yves Saint-Laurent/Pierre Bergé (373,5 M€) sous la nef du Grand Palais en 2009. À l'époque, le tableau d’Henri Matisse Les coucous, tapis bleu et rose s’y était adjugé le plus gros coup de marteau (35,7 M€) devant l’étrange sculpture Madame L.R. de Constantin Brâncuși (29,18 M€) et le Fauteuil aux dragons art déco de la designer irlandaise Eileen Gray (21,9 M€).
À la différence de Saint-Laurent/Bergé, la collection Givenchy ne ressemble pas à une succession de chefs d’œuvre qu’on juxtapose dans un esprit muséal. La qualité des pièces compte tout autant que leur provenance, à l'image de cette pendule ayant appartenu à Coco Chanel. Leur agencement importe aussi beaucoup. Hubert de Givenchy se disait « amateur d’art » et non « décorateur » et encore moins « collectionneur », mot qu’il abhorrait. Le créateur qualifiait sa grande passion pour l’art et les arts décoratifs de « seconde carrière », se plaisant à conjuguer mobilier, objets et peintures, comme ce dessin du château du Jonchet reposant de manière naturelle sur une petite chaise Directoire en acajou.
Pour l’événement, Christie’s s’emploie même à recréer l’univers du grand couturier dans une scénographie, allant jusqu’à transformer la salle des ventes en jardin ! Si « la verticalité de la rue de Grenelle » renvoie au « clair-obscur de la ville », « l'horizontalité du Jonchet » magnifie « l'éclat traversant de la campagne ». En ces lieux, Givenchy soulignait « le jeu des blancs et des verts, l'alternance des pleins et des vides, la rigueur et le goût du détail », écrit Gilles Denis dans Le Point. Le journaliste loue le « mélange et les associations qui, à l'image de la couture du même, jouent de l'éclat chuchoté, de la maîtrise des lignes, des audaces discrètes ».
La ligne. Le mot est dit. Hubert de Givenchy la préfère à la surface, c’est-à-dire à la décoration, qu’il s’agisse de ses tailleurs, de ses robes de cocktail ou de ses robes du soir. Ses créations modernes et féminines se caractérisent par « des couleurs vives et joyeuses et une féminité juvénile », écrit Elisabeta Tudor dans Marie-Claire. Audrey Hepburn ou Jacqueline Kennedy en demeurent les icones, de chic et de charme. Son style longiligne se mêle à la fascination qu'il avait pour la créativité poétique des frères Giacometti et « le talent au bout des doigts » qu’Hubert de Givenchy leur reconnaissait.
La Femme Qui Marche, adjugée 27,2 M€, est le lot le plus cher vendu en France cette année. Sa forme figée et stylisée, ses reflets luisants, sans bras, ni tête et d’un corps ultra-mince fait surgir à l’air libre de notre temps on ne sait quelle déesse égyptienne échappée de son sarcophage. Cette sorte de Vénus se distingue par ses formes féminines, à l’inverse de L’Homme Qui Marche, son alter ego dont la rugosité toute volcanique fait surgir dans notre imagination la catastrophe de Pompéi, prélude antique de nos apocalypses nucléaires et peut-être aujourd'hui climatiques. Malgré ses bras et sa tête, son caractère masculin s’efface devant sa condition « universelle, existentielle et définitive », note l’institut Giacometti. Comme s’il était moins homme qu’humain.
Le trait d’union entre les deux œuvres serait-il une pyramide dont la base est inversée chez l'homme et la femme ? Chez l'homme, tout dépend de son pas décidé, donnant l'impression que son action enjambe le monde ; chez la femme, statique, la vie repose sur ses épaules, et manifeste sa résilience.
Pensée comme une superproduction, cette vente-événement est révolutionnée par le numérique. Grâce aux hologrammes, la sculpture de Giacometti se laisse désirer, devient mobile, tourne devant vous comme un mannequin dans un défilé de haute couture. On peut enchérir de son ordinateur. Si la technique valorise les œuvres, elle en facilite surtout l'accès à une clientèle essaimant de Palm Beach à Los Angeles, en passant par New York et Hongkong, Paris n'étant qu'une apothéose.
Comme un clin d'œil de l'actualité, cette vente aux enchères se déroule en même temps que le salon Vivatech, porte de Versailles, où se célèbrent jusqu'à demain les noces du business et de l'innovation.
Quelque 2000 acheteurs de 30 nationalités se disputent 1229 pièces – un chiffre record pour une vente aux enchères en France. On dépassait hier les 100 millions d’euros. Du jamais vu depuis « la vente du siècle » de la collection Yves Saint-Laurent/Pierre Bergé (373,5 M€) sous la nef du Grand Palais en 2009. À l'époque, le tableau d’Henri Matisse Les coucous, tapis bleu et rose s’y était adjugé le plus gros coup de marteau (35,7 M€) devant l’étrange sculpture Madame L.R. de Constantin Brâncuși (29,18 M€) et le Fauteuil aux dragons art déco de la designer irlandaise Eileen Gray (21,9 M€).
À la différence de Saint-Laurent/Bergé, la collection Givenchy ne ressemble pas à une succession de chefs d’œuvre qu’on juxtapose dans un esprit muséal. La qualité des pièces compte tout autant que leur provenance, à l'image de cette pendule ayant appartenu à Coco Chanel. Leur agencement importe aussi beaucoup. Hubert de Givenchy se disait « amateur d’art » et non « décorateur » et encore moins « collectionneur », mot qu’il abhorrait. Le créateur qualifiait sa grande passion pour l’art et les arts décoratifs de « seconde carrière », se plaisant à conjuguer mobilier, objets et peintures, comme ce dessin du château du Jonchet reposant de manière naturelle sur une petite chaise Directoire en acajou.
Pour l’événement, Christie’s s’emploie même à recréer l’univers du grand couturier dans une scénographie, allant jusqu’à transformer la salle des ventes en jardin ! Si « la verticalité de la rue de Grenelle » renvoie au « clair-obscur de la ville », « l'horizontalité du Jonchet » magnifie « l'éclat traversant de la campagne ». En ces lieux, Givenchy soulignait « le jeu des blancs et des verts, l'alternance des pleins et des vides, la rigueur et le goût du détail », écrit Gilles Denis dans Le Point. Le journaliste loue le « mélange et les associations qui, à l'image de la couture du même, jouent de l'éclat chuchoté, de la maîtrise des lignes, des audaces discrètes ».
La ligne. Le mot est dit. Hubert de Givenchy la préfère à la surface, c’est-à-dire à la décoration, qu’il s’agisse de ses tailleurs, de ses robes de cocktail ou de ses robes du soir. Ses créations modernes et féminines se caractérisent par « des couleurs vives et joyeuses et une féminité juvénile », écrit Elisabeta Tudor dans Marie-Claire. Audrey Hepburn ou Jacqueline Kennedy en demeurent les icones, de chic et de charme. Son style longiligne se mêle à la fascination qu'il avait pour la créativité poétique des frères Giacometti et « le talent au bout des doigts » qu’Hubert de Givenchy leur reconnaissait.
La Femme Qui Marche, adjugée 27,2 M€, est le lot le plus cher vendu en France cette année. Sa forme figée et stylisée, ses reflets luisants, sans bras, ni tête et d’un corps ultra-mince fait surgir à l’air libre de notre temps on ne sait quelle déesse égyptienne échappée de son sarcophage. Cette sorte de Vénus se distingue par ses formes féminines, à l’inverse de L’Homme Qui Marche, son alter ego dont la rugosité toute volcanique fait surgir dans notre imagination la catastrophe de Pompéi, prélude antique de nos apocalypses nucléaires et peut-être aujourd'hui climatiques. Malgré ses bras et sa tête, son caractère masculin s’efface devant sa condition « universelle, existentielle et définitive », note l’institut Giacometti. Comme s’il était moins homme qu’humain.
Le trait d’union entre les deux œuvres serait-il une pyramide dont la base est inversée chez l'homme et la femme ? Chez l'homme, tout dépend de son pas décidé, donnant l'impression que son action enjambe le monde ; chez la femme, statique, la vie repose sur ses épaules, et manifeste sa résilience.
Pensée comme une superproduction, cette vente-événement est révolutionnée par le numérique. Grâce aux hologrammes, la sculpture de Giacometti se laisse désirer, devient mobile, tourne devant vous comme un mannequin dans un défilé de haute couture. On peut enchérir de son ordinateur. Si la technique valorise les œuvres, elle en facilite surtout l'accès à une clientèle essaimant de Palm Beach à Los Angeles, en passant par New York et Hongkong, Paris n'étant qu'une apothéose.
Comme un clin d'œil de l'actualité, cette vente aux enchères se déroule en même temps que le salon Vivatech, porte de Versailles, où se célèbrent jusqu'à demain les noces du business et de l'innovation.