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Geert Wilders : les paradoxes du « Capitaine Peroxyde » néerlandais

Par Peter Bannister - Publié le 12/12/2023 - Crédit photo : ROBIN VAN LONKHUIJSENANP MAGANP via AFP

Le « Capitaine Peroxyde » Geert Wilders, vainqueur surprise des récentes élections aux Pays-Bas, serait-il le prototype même du populisme politique, du moins de la génération actuelle ? Parfois appelé le « Trump néerlandais  », notamment à cause de ses habitudes vestimentaires, les propos souvent volontairement outranciers de Wilders contre l'Islam, l'immigration et l'UE semblent en effet s'inspirer de la rhétorique de Trump ainsi que du mouvement pro-Brexit de Nigel Farage au Royaume-Uni. Cependant, Wilders a précédé les deux dans le temps. Il est le plus ancien parlementaire néerlandais, élu pour la première fois en 1998 pour le VVD, parti libéral de centre-droit - une formation qu'il a quittée en 2004, la jugeant trop laxiste sur la question de l'Islam. C'est d'ailleurs depuis ce moment-là que Wilders vit sous protection policière, son nom ayant été retrouvé sur la liste de cibles potentielles du tueur du cinéaste Theo van Gogh, auteur du film controversé Soumission sur le Coran et le traitement des femmes.

Plusieurs commentateurs, dont Wilders lui-même – ont replacé son succès électoral dans le contexte d'une montée plus large du populisme politique en Europe (l'AfD en Allemagne, Viktor Orban en Hongrie, Robert Fico en Slovaquie) et ailleurs (Javier Milei en Argentine). Toutefois, un examen du profil de Wilders suggère qu'une telle lecture doit également prendre en compte les spécificités de la politique néerlandaise, y compris certains éléments apparemment paradoxaux. Le premier concerne les origines de Wilders ; ce pourfendeur de l'immigration est né dans la petite ville hollandaise de Venlo, mais sa grand-mère était originaire d'Indonésie, ancienne colonie néerlandaise devenue aujourd'hui le pays islamique le plus peuplé au monde. Les déclarations de Wilders sur cet aspect de ses racines sont ambiguës ; en 2008, il a admis qu'il y avait des « influences indonésiennes » dans sa famille, mais en 2009, la chercheuse Lizzy van Leeuwen a déclaré sans ambages que « Wilders est un Indo. Il est issu d'une famille métisse et coloniale des Indes néerlandaises. » Pour van Leeuwen, sa peur de l'Islam et son ultra-patriotisme reflètent les préoccupations des derniers Hollandais coloniaux de l'Indonésie actuelle (dont beaucoup soutenaient le parti fasciste néerlandais (NSB) dans les années 1930, ayant peur de l'essor du nationalisme indonésien et musulman). Ces anciens Néerlandais coloniaux - dont beaucoup de métis - craignaient en outre d'être considérés comme des citoyens de seconde zone lors de leur transfert aux Pays-Bas après la guerre d'indépendance de l'Indonésie (1945-1949). D'où leur désir d'apparaître comme des « superhollandais » afin d'être acceptés par la société néerlandaise. Pour Lizzy van Leeuwen, la décision de Wilders de se teindre les cheveux (dissimulant ainsi ses origines) et son opposition farouche aux immigrants plus récents, notamment turcs et marocains, sont l'expression archétypique de cette insécurité.

À cela s'ajoute un deuxième paradoxe : de nombreux analystes ont estimé que la victoire de Wilders a été facilitée par une réfugiée turco-kurde arrivée aux Pays-Bas à l'âge de 7 ans, la candidate du gouvernement sortant de Mark Rutte (VVD), Dilan Yeşilgöz-Zegerius. Certains estiment que cette ancienne socialiste très médiatisée a légitimé Wilders en refusant pendant la campagne électorale d'exclure une coalition avec lui. Le VVD a sans doute également joué le jeu de Wilders en promettant de limiter l'immigration et les demandes d'asile : si le but de l'initiative était de courtiser son électorat, elle s'est retournée contre le parti de Rutte. Comme l'a dit un article de Cas Rudde dans The Guardian : « Les gens préfèrent l'original à la copie. »

Le troisième paradoxe est que si Wilders est bien populiste dans son style et sa véhémence contre l'Islam et l'immigration, il diffère d'autres populistes de droite en ce que les « valeurs nationales néerlandaises » qu'il défend sont plutôt celles chères (en dehors des Pays-Bas) à la gauche laïque, telles que les droits des femmes et de la communauté LGBT. On peut y voir en partie l'héritage de son prédécesseur immédiat en tant qu'opposant à l'Islam, Pim Fortuyn, ouvertement homosexuel, assassiné en 2002 (par un militant d'extrême gauche).

Électron libre de la vie politique néerlandaise, Geert Wilders est une figure complexe. Pour l'instant, sans partenaires clairs pour former une coalition, il n'est pas du tout certain qu'il devienne le Premier ministre à l'issue de négociations qui s'annoncent longues. La vraie signification de son score électoral est également une question d'interprétation (ses détracteurs soulignent que 75 % des électeurs ont choisi de ne pas voter pour lui). Il est néanmoins très probable que les questions soulevées par les populistes européens - non seulement l'immigration, mais aussi les relations des États-nations avec Bruxelles et la désillusion populaire envers les élites politiques, pèsent lourd dans les mois à venir.


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Anti-islam, anti-UE… Geert Wilders ou le triomphe bruyant de l'extrême droite aux Pays-Bas
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