
Face au régime des mollahs, une opposition iranienne très divisée
La pression sur Téhéran reste intense... Après avoir fait mine de privilégier la voie diplomatique en imposant un ultimatum de deux semaines, Donald Trump a ordonné peu après (le 22 juin) le bombardement des trois sites suspectés d'abriter le matériel et l'infrastructure pour le développement de l'armement nucléaire. Après la réplique iranienne (sur la base américaine d'Al-Udeid au Qatar) le lendemain, Donald Trump a imposé un cessez-le-feu. De leur côté, les Israéliens continuent d'affirmer que leur objectif à terme est de faire tomber le régime. Le consensus des observateurs reste qu'une intervention terrestre est très peu probable, tant elle serait risquée : le territoire iranien est immense et montagneux. Les expériences irakienne et afghane l'ont amplement démontré, et ce serait alors – pour Donald Trump – un revirement complet sur ses engagements de campagne. Le régime théocratique iranien est certes très affaibli, mais rien n'indique à ce stade qu'il est sur le point de tomber. L'offensive israélienne a soudé la population, pourtant très majoritairement hostile aux mollahs : sur les 600 morts estimés, 263 seraient des civils. S'ils sont donc nombreux à détester le « guide suprême » Khamenei et ses sbires, ils n'ont pour autant aucune sympathie pour Benjamin Netanyahu... Or, l'attaque israélienne permet au régime iranien de resserrer son emprise sur la population : arrestation d'opposants, exécutions d'espions et extinction des espaces de liberté relatifs que représentaient l'Internet et les applications de messagerie. Dans l'hypothèse où le régime tomberait, il est difficile de distinguer à court terme des alternatives viables dans l'opposition, tant elle est divisée...
Citons d'abord l'opposition monarchiste, représentée par Reza Pahlavi, le prince-héritier et fils du shah renversé par la révolution en 1979. Il a appelé à une révolte des forces armées et du peuple depuis son exil occidental, sans succès jusqu'à présent. Il est difficile de savoir quelle influence il a sur son pays d'origine, tant le régime de son père était assimilé aux Américains. Ses interventions soutiennent sans réserve les bombardements sans montrer de compassion pour les Iraniens innocents (voir ABC News). Si son père a libéralisé la société iranienne, le souvenir reste d'un pouvoir autoritaire et très corrompu au service des puissants, y compris de l'étranger. Les Iraniens n'ont pas oublié les manœuvres des Britanniques – puis des Américains – pour protéger leurs intérêts pétroliers après la Deuxième Guerre mondiale. Lors du coup d'État de 1953, le gouvernement a été renversé avec l'aide active de la CIA. Le pouvoir du shah s'en est trouvé renforcé, devenant autocratique avec la bénédiction de ses protecteurs occidentaux. La SAVAK (la police secrète iranienne) a fait régner la peur chez les opposants dès 1957... Les Iraniens, alors qu'ils espèrent dans leur grande majorité la chute des mollahs, se méfient de toute ingérence étrangère.
Les Moudjahidines du peuple sont la principale composante du CNRI (Conseil national de la résistance iranienne). Ses représentants sont exilés et leur influence est donc difficile à mesurer en Iran. Ce groupe est par ailleurs controversé, car il est à la fois marxiste et islamiste. On parle même de fonctionnement sectaire. S'il ne figure plus sur la liste d'organisations terroristes en Occident depuis 2009 (UE) et 2012 (US) et qu'il bénéficie de relais médiatiques puissants à l'international, son alliance avec l'ennemi irakien pendant la Grande Guerre (1980-1988) l'a décrédibilisé aux yeux des Iraniens. On voit donc mal comment l'opposition en exil pourrait offrir une alternative au pays...
La résistance civile issue de la population iranienne apparaît comme la seule option viable, présentant des risques moindres de chaos après la chute des mollahs. Mais aucune figure ne se détache, tant l'oppression reste forte. Les mouvements civils comme « Femme, Vie, Liberté » ont démontré leur capacité de résistance. Face au refus militant de porter le voile, le régime a été contraint de lâcher du lest depuis 2 ans. Les mouvements réformateurs existent (portés par Moussavi ou Mohammadi), mais ils manquent de crédibilité auprès de la population, car considérés comme issus du régime ou trop modérés...
Une autre opposition existe en Iran, elle-même porteuse de chaos potentiel : les minorités ethniques et religieuses. Elles sont nombreuses et diverses, mais on peut citer au nord-ouest les Kurdes, qui pèsent entre 7 % et 10 % de la population totale. Comme ailleurs dans la région, ils ont une forte identité culturelle et ils sont majoritairement sunnites. À l'autre extrémité, au sud-est, les Baloutches (2 % de la population) sont sans doute les plus marginalisés. Sunnites : l'influence islamiste y est forte. Comme les Kurdes, ils n'ont pas de nation et les Baloutches pakistanais – juste de l'autre côté de la frontière – ont déjà des velléités d'indépendance. Sans compter qu'ils sont nombreux dans le sud de l'Afghanistan voisin, et liés aux talibans. Kurdes ou Baloutches, l'accès aux armes leur est facilité par des frontières poreuses...