Accouchement physiologique : quand les femmes (re)prennent le pouvoir
Ils ne s'aiment pas, c'est le moins que l'on puisse dire. Qui ? Certains partisans de l'accouchement physiologique, comme Nina Narre, réalisatrice du documentaire Faut pas pousser, versus certains défenseurs d'un accouchement plus médicalisé, avec en tête de file le très médiatisé Israël Nisand, professeur de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg, qui crie à la régression quand on lui parle d'accouchement à domicile. La discussion entre eux dure depuis des années et les parties semblent irréconciliables.
Quand on parle d'accouchement physiologique, il ne s'agit pas forcément d'un accouchement à domicile. Par « physiologique », on entend « avec le moins d'intervention médicale possible », donc sans péridurale. Et aussi, dans une ambiance la moins hospitalisée possible. Le « papa » de ce concept, c'est Michel Odent, chirurgien et obstétricien, qui a œuvré toute sa vie pour favoriser des salles de naissance « comme à la maison ». Dans certaines maisons de naissance – il y en a huit actuellement en France –, tout est fait pour que les femmes s'y sentent comme à la maison. Lumière douce, liberté de mouvement, lien de confiance établi avec une même sage-femme qui va suivre la future maman pendant toute sa grossesse. L'objectif : « Pour trouver les clés de la physiologie et donc d'un accouchement naturel et sécuritaire, la femme doit lâcher son néocortex, traverser les émotions qui se présentent pour atteindre le cerveau instinctif. Elle rentre alors dans sa bulle… », peut-on lire dans cet article de Santé Magazine. Certaines vidéos circulent, montrant des femmes qui accouchent de façon totalement physiologique, en mouvement, et il faut bien le dire, les images sont hallucinantes de beauté, comme ici (âmes puritaines, s'abstenir).
Pour comprendre la situation actuelle et les tensions qui peuvent exister autour de la question, il faut remonter quelques décennies en arrière. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la femme accouche encore majoritairement à la maison, avec une sage-femme choisie et qui, dans le meilleur des cas, suit la future maman depuis le début de sa grossesse. Comme l'explique très bien (notamment dans cette vidéo) Marie-France Morel, agrégée d'histoire-géographie et grande spécialiste de l'accouchement en France, c'est à partir de 1952 que les femmes vont accoucher à l'hôpital. À cela, il y a plusieurs explications : attirance pour la modernité de l'hôpital, discours des médecins qui insistent sur l'extrême sécurité, et dernier argument de poids auquel sont sensibles de nombreuses femmes : à l'hôpital, on leur fiche la paix, on s'occupe d'elles sans leur demander de préparer un dîner entre deux contractions. Bref, cet accouchement à l'hôpital reste unanimement désirable dans les années 50 et 60. Mais dès les années 70, émergent des mouvements de couples qui souhaitent accoucher à la maison, avec une sage-femme qu'ils connaissent.
Car la réalité vécue à l'hôpital par certaines est bien là : à force d'avoir encadré-sécurisé-balisé l'accouchement, les femmes se sentent dépossédées d'un moment où Dame Nature n'a plus sa place. Au grand dam d'une Nina Narre qui l'explique ici : « On bousille la physiologie avec une succession de choses inutiles, prétextant que les femmes ne sont pas capables et que c'est dangereux. […] Ce n'est pas neutre du tout pour l'avenir de l'humanité d'avoir des bébés qui naissent de façon industrielle. » De fait, les chiffres sont là : près d'un accouchement sur 4 est déclenché et, en 2021, 82,7 % des femmes accouchent avec une péridurale. Ces chiffres sont tous issus de l'Enquête nationale périnatale réalisée en 2021.
La faute à qui ? Au mal de notre temps : le manque de moyens et surtout le manque de temps. Ce qu'explique encore Nina Narre : « Ils ont démonté l'hôpital, il n'y a pas assez de sages-femmes, pas assez de maternités, pas assez de personnel. Ça, c'est dit par des responsables du collège national des gynéco-obstétriciens de France. On ne peut pas gérer des femmes sans péridurale quand il y a une sage-femme pour trois femmes en travail. Donc, on impose les péridurales. » Aurélie, sage-femme qui pratique l'accouchement physiologique depuis près de vingt ans, le dit avec moins de véhémence, mais tout autant de conviction : « Ce qui me tient le plus à cœur, c'est que l'on retrouve le temps. Ce qui nous manque aujourd'hui, c'est le temps de prendre soin des gens. L'accouchement physio est au rythme de la femme alors que dans notre société, tout est timé. Il faut reprendre le temps d'accompagner les naissances. Du temps et de la confiance. » Et de conclure sur ces propos apaisants : « Ce ne doit pas être une bataille physio-pas physio. Si les cartes ne sont pas bonnes et qu'il faut médicaliser, alors oui. Notre discours n'est pas anti-hôpital, heureusement que les médecins sont là ! Mais d'abord, donnons-nous les bonnes conditions. Et ça, de plus en plus de médecins sont prêts à l'entendre. »
- Moins de 1 % des femmes accouchent aujourd'hui à domicile en France.
- L'accouchement physiologique peut se pratiquer à la maison, en maison de naissance et même en hôpital, du moment qu'il n'y a pas de péridurale et que la maman est bien accompagnée.
- Le Dr Michel Odent, chantre de l'accouchement physiologique, est décédé récemment, à l'été 2025.
- Les clivages "accouchement physiologique / pas physiologique" sont très variables d'une région à l'autre. Parfois, le dialogue est bon entre sages-femmes et médecins, parfois beaucoup moins.